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25 novembre 2014 2 25 /11 /novembre /2014 23:09

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Comment un cimetière peut s'ouvrir.

 

 

En septembre, avec un de nos fils, nous rendons visite aux tombes de la famille

Pourquoi cette décision ?

Il fait beau et c'est notre désir du moment, nous descendons joyeux pour acheter des fleurs La petite route du bois respecte prés et pacages en les contournant avec ses pierres sèches.

C'est un jour d'espérance.

Puis c'est la montée vers le jardin de nos tombes, qui est là, soudain, dans son pré. En bas,

caché dans son lit de feuilles de hêtre, le ruisseau fait son bruit de foule en attente joyeuse.

Un instant nous craignons que la grille ne soit fermée, comme si l'un des défunts risquait de s'échapper.

La grille a son grincement plus que centenaire.

L'herbe est tondue, tout est propre, soigné, à sa place.

À droite, au milieu de l'allée, il y a, immuable, la grande tombe à étages des ancêtres et à son ombre, celle des parents sous le rosier fané.

 

À ce moment, sans prévenir, mon regard sur ce lieu bascule et comme une évidence toujours connue et pourtant insoupçonnée, je vois les tombes, alignées sagement, comme des fenêtres ou plutôt des portes ouvrant vers le ciel de chacun. La terre brune est creusée à chaque place, les pierres grises de Volvic se font transparentes à un bleu surgi du fond du ciel et posé là, tout naturellement, de l'autre côté de la terre et des pierres froides. J'entends soudain les prières d'antan se murmurer dans mon souvenir, sous le chapeau de maman, la voilette de la grand tante et tout ces personnages qui glissaient derrière nous, en silence murmuré, chacun vers le souvenir de son défunt. J'entends aussi la grille saluer chaque arrivant de son léger grincement.

J'entrevois un ami d'enfance et du pays me dire il y a bien vingt ans, lui ce grand silencieux :

"Eh oui... Pôvre ! On n'est pas d'ici"

 

Nous voici debout devant la croix des parents allongée entre les lauzes et le gravier. Le rosier est là, penché, et l'ardoise gravée qui ne se lasse pas d'inviter à prononcer les noms à qui vient les lire.

Ai-je rêvé ?

 

Les pierres sont là, les grandes croix et les petites chapelles couvertes en zinc avec les  noms de familles du pays sur les plaques émaillées et aussi les vieilles croix penchées sur d'infimes terrains piqués de trois fleurs des champs.

Qu'ai-je vu tout à l'heure ?

 

Peut-on voir à la fois de nos yeux, des réalités si contradictoires : des pierres devenues fenêtres, des trous aussi ouverts que comblés et au delà, ce ciel de printemps en automne ?

J'ai vu les trous si froids des tombes devenir passages, fenêtres, portes ouvertes qui ont laissé filer leurs morts si on ne les retenait pas trop, vers une vie aussi certaine qu'inconnue.

Dans notre dos, à droite j'aperçois le petit emplacement libre et verdoyant acheté 250 francs, voici quarante ans au moins pour notre traversée d'un jour qui vient.

 

Nous plaçons, les fleurs sous les noms des parents avec les gestes soigneux du passé.

Nous arrachons trois tiges folles, chassons dix feuilles, redressons un branche du rosier.

Après le temps de silence, peuplé des prières-souvenirs habituelles, silence souligné par le murmure du ruisseau au bas de la pente, une grande joie m'inonde, comme débordée des tombes devenues puits d'espérance.

Non seulement les morts qui ont défilé ici, sont trépassés, mais ils sont surtout passés tout à fait, de l'autre côté, chez eux, chez nous, ils sont au coin du feu éternel, ou bien courent dans les champs de leur paradis.

Il n'y a plus personne ici. Ne restent que les noms gravés qui vivent si on les prononce.

 

C'est le moment  de partir. En me retournant, j'entrevois notre petit coin réservé et je revis en quelques instants l'année qui vient de s'écouler avec ses tribulations, la mort qui rôdait, les larmes plus ou moins retenues et les giboulées d'espérance sur la route de l'hôpital ... C'est là qu'une nuit du joli mai de cette année, pendant que des mains pleines de sollicitude réanimaient mon épouse, c'est là que j'ai arrêté la voiture et crié "Au secours !" sans réponse à mes oreilles.

Mais quand le moteur  est reparti, j'ai entendu comme un murmure, c'étaient, échappés de mes lèvres, les premiers mots venus du fond des âges : ceux de la prière à Marie, la salutation des matins et des soirs qui bannit toute crainte et nous rend tout petits.

Les semaines et les mois ont glissé dans leur lit, comme le ruisseau du cimetière.

Aucune raison de se plaindre car l'abandon des projets, des châteaux, des voyages, la cuisine, ses oignons, les rangements, les "courses", les brusques intuitions qui me faisaient courir à la chambre alors que la "malade" était déjà dans l'escalier, tout cela s'est fait aussi simple que l'instant venu, embrassé comme un ami.

Les mois ont passé, les "enfants" sont accourus, illuminant le visage de leur mère.

Et voici ce mois de septembre radieux avec la visite au jardin des tombes, soulignée par le chant si discret du ruisseau sous les hêtres.

C'est comme si les peines et les imprévus des mois passés avaient commencé à creuser notre passage, à petits ou grands coups de pelles et de pioches.

C'est comme si chaque moment de refus d'espérance faisait retomber les lourdes mottes dans le passage qui s'entrouvrait pour nous, ici.

Chacun pourrait-il ainsi creuser son propre trou pour ouvrir sa porte ? Faut-il frapper avant d'entrer ? Demander s'il y a quelqu'un ? Disant aussi "Je me tiens à la porte et je frappe" ?

Qu'en sera-t-il demain, maintenant que notre avenir plein de projets s'est concentré en tous les instant présent à venir, un à un, au rythme d'ici bas ?

 

Je me sens pris du violent désir de partager avec d'autres ce qui est arrivé en cette soirée, ces instants, avec notre fils et sa mère, les fleurs et le ciel si bleu de Septembre. Comment transmettre cette paix encore inconnue pour moi sous la forme si insolite qu'elle a prise? 

Une paix ouverte, épanouie, sous laquelle chacun, croyant au ciel ou n'y croyant pas, pourrait se glisser à son aise.

 

Jacques Orfila  29.10.2014

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