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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 09:55

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Le récit que vous allez découvrir est issu d'un long travail collectif sur le chapitre 12 du premier livre de la Bible, appelé La Genèse, qui relate les débuts d'Abraham, celui qu'on appelle "le Père des croyants".

 

Une fois le travail sur le texte terminé, ses fruits ont entrepris, comme toutes nos pensées, un long voyage dans la mémoire et se sont comme perdus.

 

Plusieurs années après, à l'improviste, a surgi comme d'une source cachée par une pierre qu'on aurait déplacée, un récit dont l'héroïne est Saraï, qui ne s'appelaitpas encore Sarah, épouse d'Abram qui ne s'appelait pas encore Abraham.

 

Aucune parole de Saraï dans ce chapitre 12, elle est comme muette.

Est-ce pour cela que sa parole s'est libérée le matin où la source de ce texte s'est mise à couler  ?

Qui le sait ?

 

Voulez-vous écouter ces mots venus d'un autre âge que le nôtre et pourtant si proche ?

Leur origine est triple: Un très vieux texte aplati dans de très vieux livres, un travail exécuté par des amoureux de ce livre, puis quelque chose de tout autre, aussi neuf qu'un fruit inattendu.

 

 

 

 

 

Conte de Saraï                                                                         à partir de  Génèse 12, 5-20

 

 

Le conteur invité au village a pris le repas offert en son honneur.

Maintenant que le soleil s’approche des collines, chacun prend place pour l’écouter.

Tous sont impatients: il leur a dit en arrivant qu’il avait du nouveau.

Du nouveau tiré des anciens temps, du temps des nomades.

Du temps des voyages, tout simplement des premiers temps.

 

Les murmures de l’assistance sont aussi intarissables que l’écoulement d’un ruisseau.

Le conteur les laisse parler, se donner les nouvelles, dire ce qu’on ne peut retenir.

Si les femmes sont d’un côté, les hommes sont de l’autre.

C’est la coutume. C’est plus simple. Comme aux premiers temps.

L’homme qui a l’habitude, guette les regards, les appartés.

Des ilots de silence se forment, se réunissent et quand il lève une main

Tous les yeux se fixent sur lui. Petits et grands, chacun bien calé, ils sont tout oreille.

 

C            -  Je vais vous parler d'une des premières femmes de notre tradition.

                 Les enfants ? Vous la connaissez ?

Enf          - Je sais…

               - Moi aussi…

C             - Vous connaissez son nom ?

Enf          - Sarah ! C’est Sarah, j’en suis sûr.

C             - C’est ce qu’on a dit, Ça veut dire Princesse.Vous avez raison.

                Mais comment l’appelait son père?

Enf            -…

Enf            -…

C              - Il l’appelait Saraï: “Ma princesse”parce qu’il l’aimait beaucoup.

                 Ce n’est que plus tard qu’elle s’est appelée Sarah.

                 Et, que savez-vous encore d’elle ?

Enf            - C’était la femme d’Abraham.

C               - Et encore ? Comment était-elle ?

Enf            -…

C               - Elle était très belle, très belle de sa naissance à sa mort.

                  Ça lui a joué des tours.

                 Alors, maintenant ! Écoutez bien…

                 Ce que je vais vous dire m’a été raconté par une très très vieille grand mère

                 Qui l’avait appris d’une autre très très vieille grand mère…

                 Jusqu’à plus de mille ans et peut-être davantage

                  parce qu’il y a toujours eu des grands mères.

Assist.       - Eh ! Conteur, tu annonçais du nouveau. Ça, ce n’est pas nouveau !

 

Le conteur fronce les sourcils, croise les bras et ne dit plus rien.

 

Ass            - Silence! Ce conteur a horreur qu’on l’interrompe, vous l’aviez oublié ?

 

Le conteur reste muet, immobile. Tous cherchent comment le faire repartir.

On lui apporte des dattes, une figue bien juteuse, une galette.

Rien n’y fait, il n’a plus faim et reste buté.

Un des assistants Ruben, a une idée et se lance:

 

Rub       - Moi aussi je connais Sarah, elle habitait la Mésopotamie.

            Elle n’était pas la cousine d’Abraham, mais la fille de sa tante…

 

Le conteur piqué au vif ne peut se retenir:

 

C          - Pas du tout ! Elle était la sœur d’Abraham par son père,

             Mais, le savait-elle ? Ils n'avaient pas la même mère.

            C’est ainsi que mon histoire commence, comme je l’ai entendue:

            Vous m'oubliez et je raconte:

 

***

  

....C’était à  Haran, en Chaldée. Saraï est la plus belle fille du pays.

Ça pèse très lourd d’être la plus belle.

Le regard des hommes est aussi flatteur que pesant.

Saraï se dit en elle même:

 

            - Je n’arrive pas à avoir d’amies: dès que des hommes arrivent,

            ils me regardent et ne voient plus mes amies. Alors elles s’en vont et je reste seule.

            Quelquefois je préfèrerais être laide !

 

Son cher papa qui s’appelle Terah essaye de la consoler en l’appelant sa princesse.

Mais Saraï reste de mauvaise humeur.

C’est ainsi que son caractère devient difficile.

Heureusement, un jour, c’est elle qui voit arriver de loin un homme de belle allure.

Quand il s’approche, elle le reconnaît:

c’est un de ses nombreux demi-frères qui a bien grandi. Il s’appelle Abram.

Il la regarde, la reconnaît, son cœur fait trois tours et le voilà pris !

A cette époque, on pouvait épouser une demi-sœur et voilà qu’Abram la prend pour femme !

Les familles étaient tellement nombreuses que ça se faisait.

Vous écoutez tous?

Je vois vos yeux et vos corps dire Oui ! Je continue:

           

Un soir Saraï voit revenir son mari Abram avec un visage différent.

Comme s’il avait fait une grande découverte.

Elle le questionne et il ne peut répondre.

Il lui dit seulement:

 

Abr            - Saraï, ma sœur et ma femme ! Nous devons quitter le pays, la famille et partir                                   vers l’ouest. Il y a trop d'idoles ici. Ça ne va pas.

 Sar            - Mais enfin, Abram ! A quoi penses-tu ? Notre père lui-même est fabricant                                              d'idoles !

                       

 Abr            -  Justement ! Toutes ces idoles me gênent Je ne peux t’expliquer pourquoi. Peut-                                   être en chemin. Prépare toi pour un long voyage. Nous emportons tout.

                        Lot, mon neveu, vient avec nous.

 

Saraï n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles.

Elle se contente d'obéir: à l’époque, la femme accompagne son mari.

Elle est jeune et n’a pas encore appris comment s’y prendre avec un tel homme.

Ils marchent des jours et des jours. Enfin, les habitants de Sichem les voient passer.

Ils s’arrêtent et campent près d’un grand chêne, un maître chêne que les cananéens vénèrent.

Abram se tient longtemps à l’écart et quand il revient, il paraît très troublé, comme ébloui.

Saraï le presse de questions, sans résultat et se dit:

 

 Sar.                 - Qu’arrive-t-il à Abram ? Il n’est plus le même. Tantôt il fait comme si je                                     n’existais pas, tantôt il se fait plus affectueux et me parle de nos enfants, de                                     nos petits enfants.

                        Cela m’irrite, car voilà plusieurs lunes que nous sommes mariés et je ne                                     suis toujours pas enceinte. Une malédiction serait-elle sur moi ?

                         Suis-je stérile ?

                        Quand ce voyage finira-t-il ?

                        Abram ! Mon mari ! Réponds moi ! Dis moi une parole !

                       

Abr            - Je suis heureux, Saraï, comme jamais.

 

Saraï regarde Abram avec les yeux brillants de sa jeune et sauvage beauté. Elle dit:

 

Sar.           - C'est vrai Abram ? Jamais tu n'as vu une femme comme moi ?

                        C'est ce qui te rend si heureux ?

 

Abram toussotte et paraît gêné, sans regarder Saraï, il ajoute:

 

 Abr.            - Je voulais te dire. C'est difficile. Je crois que ça ne regarde que les hommes.

 

Le visage de Saraï vire à l'orage, et d'une voix sèche elle commente:

 

Sar.            - Je ne crois pas que tu aies pu en trouver une plus belle que moi !

                        Alors c'est quoi ? Elle est comment, cette... concubine ?

 

Abr.            - C'est une question de confiance et c'est pour toujours.

 

Sar.            - Ah ! À l'instant tu as dit "comme jamais"

                        et maintenant tu dis "c'est pour toujours!"

                        Qui est-ce ?

 

Abram de plus en plus troublé s'approche de Saraï, s'assied auprès d'elle et lui prend les mains.

 

 Abr.            - Rien de tout ce que tu crains, chère Saraï, ma femme. Il n'y a pas d'autre femme.

                        Seulement un grand vent qui m'est passé sur le cœur, venant d'ailleurs et de nulle                         part. Un grand vent qui m'a parlé de nous deux, de nos enfants et du monde à                                     venir.

                        Un grand vent de confiance, aussi vrai que ta beauté, que tes mains dans les                                     miennes, que l'amour qui nous unit.

 

 Sar.            - Pourquoi ne m'as-tu rien dit, mon mari ?

                        Mes mains te croient mais mon cœur tremble.

                        Je croyais être seule dans ton cœur. Je pensais le combler.

           

Abr.             - Mon cœur n'est pas un puits. Si tu le comblais, tu ne serais que de la terre.

                        T'es-tu penchée sur les puits de ce pays ?

 

Sar.            - Je me suis penchée et j'ai vu.

 

Abr.            - Qu'as-tu vu ?

 

Sar.            - Un œil d'eau, ou un œil de ciel, je ne sais... Aussi frais et tremblant que la vie.

 

Abr.            - Voilà ce que j'ai vu, comme toi. Un œil d'eau comme de ciel, tremblant de vie,

                        qui nous regardait tous deux sans brouiller notre image, sans altérer notre                                     amour. Et qui m'a aussi parlé d'une voix fraîche que j'ai entendue.

                         Que j'ai entendue là bas au pays d'Haran et qui m'a fait quitter les idoles, toutes                         les idoles.

                        Avec toi pour la vie à venir et pour la route à tracer,

                         pour la peine qui tantôt te pèse, et tantôt te pousse.

                         Voilà, Saraï. C'est tout.

 

 Sar.            - Oh ! mon mari ! Toi qui parles si peu et je croirais que tu chantes !

                        Pourquoi seulement maintenant, ces paroles de vie ?

 

 Abr.            - Saraï, ma femme. Je n'avais pas les mots. Je les avais reçus mais il fallait tout ce                                     temps pour qu'ils me traversent, que je puisse les parler

                        et qu'enfin leur dire parvienne jusqu'à toi.

                        Le silence de l'homme simple que je suis va maintenant les recouvrir, ces mots.

                        Sans doute ne pourrai-je plus retrouver le chemin de la parole pendant des jours                         et des nuits. Et encore des jours...

                        Si ma bouche est muette dans les lunaisons qui viennent, regarde mes mains, mes                         pieds, mes yeux et l'en avant de mon corps.

                        Penche-toi comme moi sur le bord des puits, écoute et regarde !

                        Ce que tu entendras sera tien, comme ce que j'ai entendu est mien.

                        Viens-tu avec moi ? Saraï ?

           

Sar.            - Je viens.

 

 Abram regarde Saraï d'un œil étonné, comme s'il était surpris de lui avoir parlé ainsi:

Il n'est pas homme à évoquer des sentiments, surtout à une femme.

Que lui est-il arrivé ? C'est comme si un autre que lui s'était exprimé par sa bouche.

L'affection chez lui est action et gestes.

Cela le rend souvent brusque. C'est un homme de cette époque.

 

Saraï reste interdite de leur dialogue inattendu. Comment un homme peut-il cacher en lui de telles émotions ? Elle se dit:

 

Sar.         - Qu'est-ce qui nous a rapprochés, Abram et moi-même ?

               Ma beauté l'a touché mais je la crains parfois. Qu'est-ce que la beauté ?

               Que cache-t-ellel sous le masque du visage ?

              Je voudrais toujours savoir ce qu'il pense.

              Souffre-t-il de me voir encore stérile ? Il n'en parle pas.

              Peut-on être à la fois aussi proches et aussi étrangers l'un à l'autre ?

 

Comme chez tant de femmes, les pensées de Saraï peuvent se déployer en elle sans interrompre le travail des mains ou du corps.

Il ne doit pas en être de même pour Abram, sinon, pourquoi s'arrêterait-il de si longs instants,

les yeux au loin, les mains en attente ?

 

Elle le voit maintenant qui assemble longuement des pierres choisies.

qui en  fait une table, comme une table de pierres, comme un autel pour les sacrifices.

Mais il ne tue aucun animal.

Il reste là, silencieux.

 

Saraï pense aux sacrifices qui se pratiquaient à Haran, chez leur père.

Mais c'était solennel, avec toute l'assemblée et le sang des bêtes qui coulait.

Pourquoi cet autel ?

Quand on voit un homme et un autel, on pense à un sacrifice, à une divinité...?

Sinon l'autel et l'homme n'auraient pas de sens.

 

Saraï ne dit rien. Elle préfère toujours qu'Abram parle premier.

Il parle:

             

Abr            - Saraï ?

Sar            - Oui, Abram.

Abr            - Nous sommes au pays des cananéens. Te souviens-tu de ce qui est raconté sur ce pays ?

Sar            - Oui, je me souviens, c'est là que Cam, le deuxième fils de Noé est venu habiter.

                   Il était puni pour avoir vu la nudité de son père.

Abr            - Ton père t'a bien instruite, Saraï. C'est sans doute pour cela que le nom de cette contrée:

                    Canaan, veut dire "humiliation, soumission"

                    Comprends-tu pourquoi nous sommes arrivés dans ce pays?

           

Saraï pense à tous ceux qui les ont précédés et à leur histoire difficile.

Pourquoi sont-ils dans un lieu d'humiliation ? Marqué par la faute d'un ancêtre ?

Elle qui est stérile pense à ce fils de Noé, Cam et se prend d'affection pour lui.

Saraï défend toujours les accusés. Elle se souvient que le mot Cam veut dire aussi chaleur, vitalité, élan. Elle dit à Abram:

 

Sar            - Abram ?

Abr            - Oui, Saraï, dis-moi...

Sar            - Si ce lieu porte la malédiction de Cam, ne pouvons-nous lever cette malédiction

                    en redécouvrant les qualités de cet ancêtre ?

Abr            - Tu me donnes une idée, Saraï: ce lieu est maintenant marqué par l'autel de pierre

                  que tu m'as vu construire. Il est marqué dans notre mémoire par la rencontre mystérieuse                   que j'ai faite.

                  Nous allons traverser ce pays, passer par dessus son malheur.

                  Tu es stérile aujourd'hui, mais j'ai compris qu'une semence sortira de moi.

                  Cette semence lèvera l'humiliation que tu ressens et reviendra en ces lieux.

Sar            - Abram ?

Abr           - Oui, Saraï, que veux-tu ?

Sar            - Je veux te dire que tu es mon mari et que je te fais confiance.

                  Partons d'ici, traversons ma peine, allons notre route.

 

Ils partent et chacun de leurs pas repousse le passé d'un pied,

se fait élan vers l'inconnu de l'autre.

 

Ils partent vers le sud, vers le levant de Bethel.

Ils n'ont plus besoin de parler maintenant que leur espérance est rassasiée.

il faut trouver des campements, nourrir la caravane.

Ils marchent vers le soleil levant.

Ils montent en direction de Bethel, la maison de Dieu comme on dit ici.

La route est longue, la caravane s'étire aux cris des chameliers.

Est-elle plus longue pour les ânes et leurs petits pas ?

Pourquoi les ânes et les dromadaires sont-ils si différents ?

Pourquoi le nom de ces bêtes si fidèles peut-il servir d'injures ?

Chacun pense comme il peut, au long du chemin.

Ou bien ne pense pas et laisse ses pieds le conduire dans l'ombre de l'homme devant.

 

D'une hauteur gravie, ils voient Bethel au couchant et Aï au levant,

Aï paraît en ruines, mais c'est son nom.

Abram est songeur: faudrait il choisir entre la ruine d'un côté et la maison de Dieu de l'autre ?

Ou bien faut-il passer par l'étroit sentier qui les sépare ?

De son bras levé, il indique un petit vallon et la caravane se décharge là de ses fardeaux.

Quelques cris, les animaux sont  parqués ou attachés, des feux s'allument.

Brusquement le soir est là, comme en ces pays.

 

Les jours suivants, Abram dresse à nouveau des pierres, et c'est un autel posé là par un homme.

Pourquoi ? Abram n'a pas les paroles pour le dire et chacun suit ses gestes avec attention.

Comme pour en graver le souvenir dans sa mémoire.

Les pierres, c'est fait pour construire et pour graver,

Pour le souvenir et pour l'avenir.

Un autel est toujours au présent quand on le voit.

Il arrête le temps et le précède et le dépasse.

 

Quand Abram a terminé l'autel, ils le voient se dresser.

Ils voient sa bouche s'ouvrir comme pour crier,

mais nul n'entend le moindre son.

Cet homme est étrange, se disent-ils, ou ne se disent-ils pas.

Saraï voit la bouche sans cri d'Abram.

Son cœur comprendrait-il ? Il bat plus fort et la confiance de Saraï grandit.

 

Comme chaque jour demande son pain, ils voient que le ravitaillement s'épuise.

Quelques uns partent en quête de nourriture.

Les bêtes broutent, le bruit de leur mastication, si régulier, les rassure.

Saraï demande à sa servante:

 

Sar.            - Crois-tu que les ânes ou les chameaux pensent,

                    pendant que broie la meule de leurs dents ?

Serv.          - Oh! C'est toi qui penses trop, maîtresse, les bêtes font confiance: regarde les !

           

Entre les bêtes d'un côté et son mari de l'autre, Saraï s'endort.

 

Le matin et les jours suivants, les hommes peinent à trouver de quoi manger.

Ils reviennent chaque fois avec un peu moins.

On parle de famine et Abram décide de repartir vers le sud.

Hier une voix l'ébranlait, aujourd'hui c'est la faim qui le pousse en avant.

Le sud, c'est le Néguev, pays de la sécheresse.

Pourquoi aller vers la sécheresse en temps de famine ?

Ils marchent avec Abram et font confiance à cet homme silencieux.

Le sud, c'est aussi le soleil et la lumière.

 

Ils marchent avec cette obstination humaine et inhumaine des nomades.

Hommes, bêtes et poussière dans le soleil.

Ils marchent sans plus penser et un matin, ils voient de loin les plaines fertiles d'Égypte.

C'est un pays étroit, mais qui possède un grand fleuve.

 

***

 

Abram s'est arrêté et avec lui toute la caravane.

Ils passent la nuit en ce lieu mais Abram ne dort pas, il se retourne sans cesse.

Saraï tourne aussi et s'inquiète.

 

Sar.            - Qu'as-tu Abram ?

Abr.            - Je suis inquiet Saraï !

Sar.            - Et de quoi es-tu inquiet, Abram ?

Abr.            - Je vois que tu es belle !

           

Saraï rit pour la première fois et lui dit:

           

Sar.            - Tu me dis cela dans le noir! Comme si c'était nouveau pour toi !

                    Que vois-tu donc ?

Abr.            - Je vois que tu es belle Saraï...

Sar.            - Encore ? Que t'arrive-t-il ? Toi qui fais si peu de compliments !

                    C'est la première fois que tu me le dis, et tu choisis la nuit, quand on ne voit rien !

Abr.            - Saraï...je ne sais comment te le dire, mais... Nous allons entrer dans un  pays étranger.

Sar.            - Oui, je le sais Abram !

Abr.            - Je crains pour ma vie, Saraï !

Sar.            - Ma beauté te menace ? C'est toi qui m'inquiètes, Abram...

Abr.            - Je crains qu'en te voyant si belle ils veuillent me tuer puisque je suis ton mari.

                     S'ils me tuent, ils feront de toi ce qu'ils voudront.

                    Comprends-tu femme ?

Sar.            - Oh ! Crois-tu ? Laisse-moi réfléchir...

 

Ils restent en silence sous la tente. Le vent léger abaisse puis soulève doucement les peaux qui la recouvrent. C'est comme la respiration de leur angoisse.

Soudain, Abram dit à Saraï:

 

Sar.            - J'ai une idée, Saraï !

Abr.            - Dis moi !

Sar.            - Voilà mon idée: Disons leur que nous sommes frère et sœur !

                   Ainsi ils ne me tueront pas pour te posséder et je pourrai te protéger.

Sar.            - Oh ! Crois-tu, Abram ? Ça ne se voit pas que nous sommes mariés ?

                  Comment vais-je faire ?

                  C'est moi que tu mets dans la crainte, Abram !

                  Que feront-ils quand ils verront la façon dont je te regarde ?

Abr.            - On ne peut que faire du bien à une femme aussi belle que toi !

Sar.            - Oh ! Abram !

 

Saraï tourne le dos à Abram et reste silencieuse, puis elle se lève et sort de la tente.

Abram l'appelle en vain puis se lève à son tour pour la chercher.

Elle est dehors, assise sur un rocher, le visage comme pierre.

 

Sar.            - Tu n'es qu'un homme, Abram ! Tu ne peux comprendre.

                     Je ne veux pas rn'être que ta sœur...

Abr.            - Saraï ! Si nous n'entrons pas en Égypte, nous mourrons de faim et si je reste ton mari,                     ils me tueront. Peut-être est-ce le prix de la beauté ?

Sar.            - Abram ! Prie celui que tu appelais en Canaan, près de l'autel.

                    Sans lui, nous sommes perdus.

           

Ils rentrent sous la tente et le lendemain, la caravane s'engage en Égypte.

Saraï a mis un vêtement de jeune fille et les jeunes égyptiens qui les voient passer n'en croient pas leurs yeux, ils changent de route et suivent de loin la caravane.

           

Un Égypt.            - Avez-vous déjà vu une femme aussi belle !

 

 

***

 

 

 La lumière s'éteint pour Saraï. Le masque de sa beauté reste seul visible.

Elle découvre soudain la ville, la foule, les palais et toujours ces hommes.

Il suffit qu'ils voient ses yeux pour imaginer sous le voile la femme de leurs rêves.

 

Sar.            - Abram, mon frère...Que m'as-tu fait ?

            pourquoi ces yeux qui me transpercent ?

            Abram mon frère...pourquoi as tu peur qu'ils te tuent si je suis ta femme ?

            Je ne te reconnais pas.

            Est-ce un rêve ?

            Pourquoi ces hommes m'entraînent ils vers le palais de Pharaon ?

            Abram, mon mari ! Prie ton dieu qu'il me soutienne.

            Ne suis-je donc que beauté ?

            Tu me vends ! Tu m'as vendue !

            Je vois les troupeaux qu'ils ont échangé contre moi, les bovins, les moutons, ânes,

            domestiques, ânesses et chameaux.

            Voilà ce que je suis devenue à tes yeux.

            Cent cornes et dix serviteurs pour une femme, la sœur de l'hébreu !

 

Le soir, dans le palais où l'ont entraînée les envoyés de Pharaon, elle se couvre les yeux

pour que nul ne voie couler ses larmes.

Car elle devine le pouvoir des larmes d'une femme sur les hommes.

Elle se sait forte mais ne voudrait pas utiliser les armes des femmes.

C'est trop pour Saraï d'être à la fois belle, femme, sœur, et vendue.

Dans le palais du pharaon, elle finit par s'endormir sur la couche de reine préparée pour elle.

Elle rêve et son rêve l'étonne:

 

Sar.            - Princesse mon père m'a nommée, princesse je suis.

            regardez tous, je danse devant le dieu Pharaon.

            Il va me choisir, me préférer aux autres.

            Je danse et me vois danser du haut des portiques,

            le long des marches, des chemins d'eau et de fleurs.

            Mon père m'a nommée princesse, Saraï je suis...

 

Soudain le rêve se brise: une servante la réveille brsquement et crie:

 

Serv.            - Debout ! Pharaon veut te voir !

 

Elle se lève et titube le long des marches et des couloirs sans fin, glacés sous ses pieds.

Le papillon du rêve se traîne sur le sol.

Elle crie alors du fond de son être, là où nul ne peut l'atteindre, là où nul homme ne pénètre:

 

Sar.            - Viens à mon secours, Dieu d'Abram ! Viens !

           

Les bras des femmes la saisissent et elle se retrouve seule dans une pièce blanche.

Sur les murs, des boiseries ajourées ne laissent rien deviner du reste du palais.

Jamais elle n'a été aussi seule.

Un frisson la parcourt quand elle entend des froissements d'étoffes.

A sa gauche brille un instant un éclat d'or puis un rouge profond et un bleu turquoise.

Est-ce Pharaon qui passe et la regarde ?

Qui est Dieu ? Qui la voit ainsi ?

Comment vont s'entendre le dieu Pharaon et le Dieu qu'appelait Abram de sa voix silencieuse ?

La regardent-ils tous les deux ?

 

Sar.           - Je ne suis que la petite Saraï ! Faites de moi ce qui est bon.

 

Elle ferme les yeux et se fait pierre.

La blanche pâleur de ses traits renforce sa beauté.

Son corps perçoit qu'un homme est entré dans la pièce et la regarde.

Les deux respirations s'accordent et nul bruit ne parvient aux oreilles tendues de Sara.

 

Le corps de Saraï commence à trembler mais son être est serein.

A cet instant, la confiance d'Abram traverse les ruelles, les murs et le palais puis envahit la pièce.

Le cri silencieux d'Abram devant l'autel devient le cri silencieux de Saraï.

 

Quand elle ouvre les yeux, il n'y a plus qu'elle dans la chambre.

le visiteur est reparti, aussi silencieusement qu'il est venu.

Elle s'assied sur les coussins et des servantes lui portent à manger.

La porte s'ouvre sur un frais jardin. Elle sort et, ombre blanche, parcourt les allées.

 

Elle ne doit surtout pas lever les yeux vers les fenêtres du palais.

Si Pharaon est là, leurs regards ne doivent pas se croiser: Regarder un dieu c'est mourir...

Les pensées de Saraï s'éparpillent en elle, elle ne parvient plus à les réunir.

Le contraste est trop fort entre Haran, Canaan, le désert et ce palais.

 

Saraï regagne sa chambre et se retrouve seule. Le visiteur viendra-t-il à nouveau ?

Quand le soleil du matin la réveille, un léger froncement de son nez lui dit qu'il est venu.

Il flotte une légère odeur d'étoffe d'homme et non de femme.

 

La troisième nuit voit augmenter ensemble son trouble et son assurance.

Cette fois ses yeux grand ouverts manifestent sa confiance et chassent la crainte.

La porte s'ouvre et l'homme s'avance à la lumière d'une lampe à huile.

les rayons de la lampe qu'il tient d'une main le font paraître immense.

Saraï garde les yeux ouverts.

 

Phar.            - Alors c'est toi, Saraï ? La sœur de l'hébreu Abram?

Sar.               - Je suis Saraï, c'est vrai.

Phar.            - C'est vrai aussi que tu es belle.

                      Voici trois jours que je te regarde.

                     Le cœur ne me serre pas comme devant les autres femmes. Qui es-tu donc ?

Sar.            - Je ne suis que Saraï, fille de Terah de Haran.

 

Les deux se découvrent longuement des yeux puis ils les ferment pour mieux garder en eux l'image de l'autre.

La lumière de la mèche et de l'huile, comme un œil humain, ne les dévoile qu'en partie et respecte les ombres.

 

Phar.            - Saraï ! Tu es belle ! Mais qu'y a-t-il en toi qui échappe à mon esprit ?

Sar.              - Je suis Saraï. C'est tout !

Phar.            - Non, Saraï, je ne suis pas tout et tu n'es pas tout. Je le sens.

 

Le corps de Pharaon, figé jusque là comme statue, s'anime légèrement.

Son bras droit se tend lentement vers Saraï, main ouverte, puis il se fige à nouveau.

Saraï lève une main, le visage et les yeux et reste ainsi, immobile.

 

Sar.            - Puis-je te parler, Pharaon ?

Phar.         - Parle, Saraï !

Sar.            - Je crains de te décevoir, grand Pharaon.

Phar.         - Comment serait-ce possible ? Belle Saraï !

Sar.            - Je ne suis pas tout à fait celle que tu crois.

                   Je ne veux pas te décevoir, Pharaon. Je ne peux mentir à tes yeux.

en-gb">Phar.         - Une femme comme toi ne peut rien cacher ! Tu m'étonnes !

                   Serait-ce que...

           

Sar.            - Une femme ne dit pas ces choses là. Elle dit qu'elle l'aime à celui qu'elle aime.

Phar.          - Et...Qu'est-e qui t'empêcherait de m'aimer, moi, un dieu sur l'Égypte ?

Sar.            - Mon cœur a été touché deux fois, par un homme et par notre Dieu.

Phar.          - Alors! Tu n'es pas vierge ?

Sar.            - Je n'ai pas d'enfant mais je suis femme.

 

Pharaon se fige comme marbre et dit d'une voix sourde qui monte et envahit la pièce:

 

Phar.            - Ton dieu me touche ! Ton Dieu m'atteint.. Ton Dieu m'ébranle !

 

Il se lève, pose sur Saraï un regard aussi admiratif qu'effrayé et sort en claquant violemment la porte. Le palais l'entend crier:

 

Phar.            - Qui est ce Dieu qui m'ébranle et me touche ?

 

Le silence envahit le palais jusqu'au matin.

 

Au lever du jour, serviteurs et servantes glissent sans bruit dans les couloirs et les escaliers.

Chez eux, la colère d'un dieu est mortelle. Chacun baisse les yeux et courbe le dos.

 

Saraï est restée seule avec son Dieu et sa confiance en Abram.

Qu'importe ce qui arrivera maintenant !

Ses lèvres bougent lentement mais nul humain n'entend leur dire.

Est-ce cela, prier ?

 

A midi, comme un claquement de fouet, les ordres fusent, tous courent dans le palais et les rues voisines.

Des gardes vont chercher Abram et l'amènent devant le trône de Pharaon.

Des servantes invitent Saraï à les suivre.

Elle découvre Pharaon couvert d'or, entouré de ses conseillers.

 

Un grand silence se fait. Les oiseaux du ciel se posent, une brise légère se lève.

 

Pharaon parle, il crie vers Abram pour dire:

 

Phar.   - Que m'as-tu donc fait ? Pourquoi ne m'as-tu pas rapporté qu'elle est ta femme ?

            Pourquoi as-tu dit: "c'est ma sœur" !

            Je l'ai prise à moi pour femme.

            Maintenant voici ta femme, prends la !                        Gen. 12, 18-20

 

Les ordres fusent, les gardes courent, Pharaon regarde au loin.

Ils encadrent Abram et Sara, les conduisent dehors.

Puis ils les renvoient d'Égypte avec tous leurs biens

 

 

           

 

Jacques Orfila et un atelier  12.2009

 

 

 

 

 

 

 

 

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