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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 09:55

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Le récit que vous allez découvrir est issu d'un long travail collectif sur le chapitre 12 du premier livre de la Bible, appelé La Genèse, qui relate les débuts d'Abraham, celui qu'on appelle "le Père des croyants".

 

Une fois le travail sur le texte terminé, ses fruits ont entrepris, comme toutes nos pensées, un long voyage dans la mémoire et se sont comme perdus.

 

Plusieurs années après, à l'improviste, a surgi comme d'une source cachée par une pierre qu'on aurait déplacée, un récit dont l'héroïne est Saraï, qui ne s'appelaitpas encore Sarah, épouse d'Abram qui ne s'appelait pas encore Abraham.

 

Aucune parole de Saraï dans ce chapitre 12, elle est comme muette.

Est-ce pour cela que sa parole s'est libérée le matin où la source de ce texte s'est mise à couler  ?

Qui le sait ?

 

Voulez-vous écouter ces mots venus d'un autre âge que le nôtre et pourtant si proche ?

Leur origine est triple: Un très vieux texte aplati dans de très vieux livres, un travail exécuté par des amoureux de ce livre, puis quelque chose de tout autre, aussi neuf qu'un fruit inattendu.

 

 

 

 

 

Conte de Saraï                                                                         à partir de  Génèse 12, 5-20

 

 

Le conteur invité au village a pris le repas offert en son honneur.

Maintenant que le soleil s’approche des collines, chacun prend place pour l’écouter.

Tous sont impatients: il leur a dit en arrivant qu’il avait du nouveau.

Du nouveau tiré des anciens temps, du temps des nomades.

Du temps des voyages, tout simplement des premiers temps.

 

Les murmures de l’assistance sont aussi intarissables que l’écoulement d’un ruisseau.

Le conteur les laisse parler, se donner les nouvelles, dire ce qu’on ne peut retenir.

Si les femmes sont d’un côté, les hommes sont de l’autre.

C’est la coutume. C’est plus simple. Comme aux premiers temps.

L’homme qui a l’habitude, guette les regards, les appartés.

Des ilots de silence se forment, se réunissent et quand il lève une main

Tous les yeux se fixent sur lui. Petits et grands, chacun bien calé, ils sont tout oreille.

 

C            -  Je vais vous parler d'une des premières femmes de notre tradition.

                 Les enfants ? Vous la connaissez ?

Enf          - Je sais…

               - Moi aussi…

C             - Vous connaissez son nom ?

Enf          - Sarah ! C’est Sarah, j’en suis sûr.

C             - C’est ce qu’on a dit, Ça veut dire Princesse.Vous avez raison.

                Mais comment l’appelait son père?

Enf            -…

Enf            -…

C              - Il l’appelait Saraï: “Ma princesse”parce qu’il l’aimait beaucoup.

                 Ce n’est que plus tard qu’elle s’est appelée Sarah.

                 Et, que savez-vous encore d’elle ?

Enf            - C’était la femme d’Abraham.

C               - Et encore ? Comment était-elle ?

Enf            -…

C               - Elle était très belle, très belle de sa naissance à sa mort.

                  Ça lui a joué des tours.

                 Alors, maintenant ! Écoutez bien…

                 Ce que je vais vous dire m’a été raconté par une très très vieille grand mère

                 Qui l’avait appris d’une autre très très vieille grand mère…

                 Jusqu’à plus de mille ans et peut-être davantage

                  parce qu’il y a toujours eu des grands mères.

Assist.       - Eh ! Conteur, tu annonçais du nouveau. Ça, ce n’est pas nouveau !

 

Le conteur fronce les sourcils, croise les bras et ne dit plus rien.

 

Ass            - Silence! Ce conteur a horreur qu’on l’interrompe, vous l’aviez oublié ?

 

Le conteur reste muet, immobile. Tous cherchent comment le faire repartir.

On lui apporte des dattes, une figue bien juteuse, une galette.

Rien n’y fait, il n’a plus faim et reste buté.

Un des assistants Ruben, a une idée et se lance:

 

Rub       - Moi aussi je connais Sarah, elle habitait la Mésopotamie.

            Elle n’était pas la cousine d’Abraham, mais la fille de sa tante…

 

Le conteur piqué au vif ne peut se retenir:

 

C          - Pas du tout ! Elle était la sœur d’Abraham par son père,

             Mais, le savait-elle ? Ils n'avaient pas la même mère.

            C’est ainsi que mon histoire commence, comme je l’ai entendue:

            Vous m'oubliez et je raconte:

 

***

  

....C’était à  Haran, en Chaldée. Saraï est la plus belle fille du pays.

Ça pèse très lourd d’être la plus belle.

Le regard des hommes est aussi flatteur que pesant.

Saraï se dit en elle même:

 

            - Je n’arrive pas à avoir d’amies: dès que des hommes arrivent,

            ils me regardent et ne voient plus mes amies. Alors elles s’en vont et je reste seule.

            Quelquefois je préfèrerais être laide !

 

Son cher papa qui s’appelle Terah essaye de la consoler en l’appelant sa princesse.

Mais Saraï reste de mauvaise humeur.

C’est ainsi que son caractère devient difficile.

Heureusement, un jour, c’est elle qui voit arriver de loin un homme de belle allure.

Quand il s’approche, elle le reconnaît:

c’est un de ses nombreux demi-frères qui a bien grandi. Il s’appelle Abram.

Il la regarde, la reconnaît, son cœur fait trois tours et le voilà pris !

A cette époque, on pouvait épouser une demi-sœur et voilà qu’Abram la prend pour femme !

Les familles étaient tellement nombreuses que ça se faisait.

Vous écoutez tous?

Je vois vos yeux et vos corps dire Oui ! Je continue:

           

Un soir Saraï voit revenir son mari Abram avec un visage différent.

Comme s’il avait fait une grande découverte.

Elle le questionne et il ne peut répondre.

Il lui dit seulement:

 

Abr            - Saraï, ma sœur et ma femme ! Nous devons quitter le pays, la famille et partir                                   vers l’ouest. Il y a trop d'idoles ici. Ça ne va pas.

 Sar            - Mais enfin, Abram ! A quoi penses-tu ? Notre père lui-même est fabricant                                              d'idoles !

                       

 Abr            -  Justement ! Toutes ces idoles me gênent Je ne peux t’expliquer pourquoi. Peut-                                   être en chemin. Prépare toi pour un long voyage. Nous emportons tout.

                        Lot, mon neveu, vient avec nous.

 

Saraï n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles.

Elle se contente d'obéir: à l’époque, la femme accompagne son mari.

Elle est jeune et n’a pas encore appris comment s’y prendre avec un tel homme.

Ils marchent des jours et des jours. Enfin, les habitants de Sichem les voient passer.

Ils s’arrêtent et campent près d’un grand chêne, un maître chêne que les cananéens vénèrent.

Abram se tient longtemps à l’écart et quand il revient, il paraît très troublé, comme ébloui.

Saraï le presse de questions, sans résultat et se dit:

 

 Sar.                 - Qu’arrive-t-il à Abram ? Il n’est plus le même. Tantôt il fait comme si je                                     n’existais pas, tantôt il se fait plus affectueux et me parle de nos enfants, de                                     nos petits enfants.

                        Cela m’irrite, car voilà plusieurs lunes que nous sommes mariés et je ne                                     suis toujours pas enceinte. Une malédiction serait-elle sur moi ?

                         Suis-je stérile ?

                        Quand ce voyage finira-t-il ?

                        Abram ! Mon mari ! Réponds moi ! Dis moi une parole !

                       

Abr            - Je suis heureux, Saraï, comme jamais.

 

Saraï regarde Abram avec les yeux brillants de sa jeune et sauvage beauté. Elle dit:

 

Sar.           - C'est vrai Abram ? Jamais tu n'as vu une femme comme moi ?

                        C'est ce qui te rend si heureux ?

 

Abram toussotte et paraît gêné, sans regarder Saraï, il ajoute:

 

 Abr.            - Je voulais te dire. C'est difficile. Je crois que ça ne regarde que les hommes.

 

Le visage de Saraï vire à l'orage, et d'une voix sèche elle commente:

 

Sar.            - Je ne crois pas que tu aies pu en trouver une plus belle que moi !

                        Alors c'est quoi ? Elle est comment, cette... concubine ?

 

Abr.            - C'est une question de confiance et c'est pour toujours.

 

Sar.            - Ah ! À l'instant tu as dit "comme jamais"

                        et maintenant tu dis "c'est pour toujours!"

                        Qui est-ce ?

 

Abram de plus en plus troublé s'approche de Saraï, s'assied auprès d'elle et lui prend les mains.

 

 Abr.            - Rien de tout ce que tu crains, chère Saraï, ma femme. Il n'y a pas d'autre femme.

                        Seulement un grand vent qui m'est passé sur le cœur, venant d'ailleurs et de nulle                         part. Un grand vent qui m'a parlé de nous deux, de nos enfants et du monde à                                     venir.

                        Un grand vent de confiance, aussi vrai que ta beauté, que tes mains dans les                                     miennes, que l'amour qui nous unit.

 

 Sar.            - Pourquoi ne m'as-tu rien dit, mon mari ?

                        Mes mains te croient mais mon cœur tremble.

                        Je croyais être seule dans ton cœur. Je pensais le combler.

           

Abr.             - Mon cœur n'est pas un puits. Si tu le comblais, tu ne serais que de la terre.

                        T'es-tu penchée sur les puits de ce pays ?

 

Sar.            - Je me suis penchée et j'ai vu.

 

Abr.            - Qu'as-tu vu ?

 

Sar.            - Un œil d'eau, ou un œil de ciel, je ne sais... Aussi frais et tremblant que la vie.

 

Abr.            - Voilà ce que j'ai vu, comme toi. Un œil d'eau comme de ciel, tremblant de vie,

                        qui nous regardait tous deux sans brouiller notre image, sans altérer notre                                     amour. Et qui m'a aussi parlé d'une voix fraîche que j'ai entendue.

                         Que j'ai entendue là bas au pays d'Haran et qui m'a fait quitter les idoles, toutes                         les idoles.

                        Avec toi pour la vie à venir et pour la route à tracer,

                         pour la peine qui tantôt te pèse, et tantôt te pousse.

                         Voilà, Saraï. C'est tout.

 

 Sar.            - Oh ! mon mari ! Toi qui parles si peu et je croirais que tu chantes !

                        Pourquoi seulement maintenant, ces paroles de vie ?

 

 Abr.            - Saraï, ma femme. Je n'avais pas les mots. Je les avais reçus mais il fallait tout ce                                     temps pour qu'ils me traversent, que je puisse les parler

                        et qu'enfin leur dire parvienne jusqu'à toi.

                        Le silence de l'homme simple que je suis va maintenant les recouvrir, ces mots.

                        Sans doute ne pourrai-je plus retrouver le chemin de la parole pendant des jours                         et des nuits. Et encore des jours...

                        Si ma bouche est muette dans les lunaisons qui viennent, regarde mes mains, mes                         pieds, mes yeux et l'en avant de mon corps.

                        Penche-toi comme moi sur le bord des puits, écoute et regarde !

                        Ce que tu entendras sera tien, comme ce que j'ai entendu est mien.

                        Viens-tu avec moi ? Saraï ?

           

Sar.            - Je viens.

 

 Abram regarde Saraï d'un œil étonné, comme s'il était surpris de lui avoir parlé ainsi:

Il n'est pas homme à évoquer des sentiments, surtout à une femme.

Que lui est-il arrivé ? C'est comme si un autre que lui s'était exprimé par sa bouche.

L'affection chez lui est action et gestes.

Cela le rend souvent brusque. C'est un homme de cette époque.

 

Saraï reste interdite de leur dialogue inattendu. Comment un homme peut-il cacher en lui de telles émotions ? Elle se dit:

 

Sar.         - Qu'est-ce qui nous a rapprochés, Abram et moi-même ?

               Ma beauté l'a touché mais je la crains parfois. Qu'est-ce que la beauté ?

               Que cache-t-ellel sous le masque du visage ?

              Je voudrais toujours savoir ce qu'il pense.

              Souffre-t-il de me voir encore stérile ? Il n'en parle pas.

              Peut-on être à la fois aussi proches et aussi étrangers l'un à l'autre ?

 

Comme chez tant de femmes, les pensées de Saraï peuvent se déployer en elle sans interrompre le travail des mains ou du corps.

Il ne doit pas en être de même pour Abram, sinon, pourquoi s'arrêterait-il de si longs instants,

les yeux au loin, les mains en attente ?

 

Elle le voit maintenant qui assemble longuement des pierres choisies.

qui en  fait une table, comme une table de pierres, comme un autel pour les sacrifices.

Mais il ne tue aucun animal.

Il reste là, silencieux.

 

Saraï pense aux sacrifices qui se pratiquaient à Haran, chez leur père.

Mais c'était solennel, avec toute l'assemblée et le sang des bêtes qui coulait.

Pourquoi cet autel ?

Quand on voit un homme et un autel, on pense à un sacrifice, à une divinité...?

Sinon l'autel et l'homme n'auraient pas de sens.

 

Saraï ne dit rien. Elle préfère toujours qu'Abram parle premier.

Il parle:

             

Abr            - Saraï ?

Sar            - Oui, Abram.

Abr            - Nous sommes au pays des cananéens. Te souviens-tu de ce qui est raconté sur ce pays ?

Sar            - Oui, je me souviens, c'est là que Cam, le deuxième fils de Noé est venu habiter.

                   Il était puni pour avoir vu la nudité de son père.

Abr            - Ton père t'a bien instruite, Saraï. C'est sans doute pour cela que le nom de cette contrée:

                    Canaan, veut dire "humiliation, soumission"

                    Comprends-tu pourquoi nous sommes arrivés dans ce pays?

           

Saraï pense à tous ceux qui les ont précédés et à leur histoire difficile.

Pourquoi sont-ils dans un lieu d'humiliation ? Marqué par la faute d'un ancêtre ?

Elle qui est stérile pense à ce fils de Noé, Cam et se prend d'affection pour lui.

Saraï défend toujours les accusés. Elle se souvient que le mot Cam veut dire aussi chaleur, vitalité, élan. Elle dit à Abram:

 

Sar            - Abram ?

Abr            - Oui, Saraï, dis-moi...

Sar            - Si ce lieu porte la malédiction de Cam, ne pouvons-nous lever cette malédiction

                    en redécouvrant les qualités de cet ancêtre ?

Abr            - Tu me donnes une idée, Saraï: ce lieu est maintenant marqué par l'autel de pierre

                  que tu m'as vu construire. Il est marqué dans notre mémoire par la rencontre mystérieuse                   que j'ai faite.

                  Nous allons traverser ce pays, passer par dessus son malheur.

                  Tu es stérile aujourd'hui, mais j'ai compris qu'une semence sortira de moi.

                  Cette semence lèvera l'humiliation que tu ressens et reviendra en ces lieux.

Sar            - Abram ?

Abr           - Oui, Saraï, que veux-tu ?

Sar            - Je veux te dire que tu es mon mari et que je te fais confiance.

                  Partons d'ici, traversons ma peine, allons notre route.

 

Ils partent et chacun de leurs pas repousse le passé d'un pied,

se fait élan vers l'inconnu de l'autre.

 

Ils partent vers le sud, vers le levant de Bethel.

Ils n'ont plus besoin de parler maintenant que leur espérance est rassasiée.

il faut trouver des campements, nourrir la caravane.

Ils marchent vers le soleil levant.

Ils montent en direction de Bethel, la maison de Dieu comme on dit ici.

La route est longue, la caravane s'étire aux cris des chameliers.

Est-elle plus longue pour les ânes et leurs petits pas ?

Pourquoi les ânes et les dromadaires sont-ils si différents ?

Pourquoi le nom de ces bêtes si fidèles peut-il servir d'injures ?

Chacun pense comme il peut, au long du chemin.

Ou bien ne pense pas et laisse ses pieds le conduire dans l'ombre de l'homme devant.

 

D'une hauteur gravie, ils voient Bethel au couchant et Aï au levant,

Aï paraît en ruines, mais c'est son nom.

Abram est songeur: faudrait il choisir entre la ruine d'un côté et la maison de Dieu de l'autre ?

Ou bien faut-il passer par l'étroit sentier qui les sépare ?

De son bras levé, il indique un petit vallon et la caravane se décharge là de ses fardeaux.

Quelques cris, les animaux sont  parqués ou attachés, des feux s'allument.

Brusquement le soir est là, comme en ces pays.

 

Les jours suivants, Abram dresse à nouveau des pierres, et c'est un autel posé là par un homme.

Pourquoi ? Abram n'a pas les paroles pour le dire et chacun suit ses gestes avec attention.

Comme pour en graver le souvenir dans sa mémoire.

Les pierres, c'est fait pour construire et pour graver,

Pour le souvenir et pour l'avenir.

Un autel est toujours au présent quand on le voit.

Il arrête le temps et le précède et le dépasse.

 

Quand Abram a terminé l'autel, ils le voient se dresser.

Ils voient sa bouche s'ouvrir comme pour crier,

mais nul n'entend le moindre son.

Cet homme est étrange, se disent-ils, ou ne se disent-ils pas.

Saraï voit la bouche sans cri d'Abram.

Son cœur comprendrait-il ? Il bat plus fort et la confiance de Saraï grandit.

 

Comme chaque jour demande son pain, ils voient que le ravitaillement s'épuise.

Quelques uns partent en quête de nourriture.

Les bêtes broutent, le bruit de leur mastication, si régulier, les rassure.

Saraï demande à sa servante:

 

Sar.            - Crois-tu que les ânes ou les chameaux pensent,

                    pendant que broie la meule de leurs dents ?

Serv.          - Oh! C'est toi qui penses trop, maîtresse, les bêtes font confiance: regarde les !

           

Entre les bêtes d'un côté et son mari de l'autre, Saraï s'endort.

 

Le matin et les jours suivants, les hommes peinent à trouver de quoi manger.

Ils reviennent chaque fois avec un peu moins.

On parle de famine et Abram décide de repartir vers le sud.

Hier une voix l'ébranlait, aujourd'hui c'est la faim qui le pousse en avant.

Le sud, c'est le Néguev, pays de la sécheresse.

Pourquoi aller vers la sécheresse en temps de famine ?

Ils marchent avec Abram et font confiance à cet homme silencieux.

Le sud, c'est aussi le soleil et la lumière.

 

Ils marchent avec cette obstination humaine et inhumaine des nomades.

Hommes, bêtes et poussière dans le soleil.

Ils marchent sans plus penser et un matin, ils voient de loin les plaines fertiles d'Égypte.

C'est un pays étroit, mais qui possède un grand fleuve.

 

***

 

Abram s'est arrêté et avec lui toute la caravane.

Ils passent la nuit en ce lieu mais Abram ne dort pas, il se retourne sans cesse.

Saraï tourne aussi et s'inquiète.

 

Sar.            - Qu'as-tu Abram ?

Abr.            - Je suis inquiet Saraï !

Sar.            - Et de quoi es-tu inquiet, Abram ?

Abr.            - Je vois que tu es belle !

           

Saraï rit pour la première fois et lui dit:

           

Sar.            - Tu me dis cela dans le noir! Comme si c'était nouveau pour toi !

                    Que vois-tu donc ?

Abr.            - Je vois que tu es belle Saraï...

Sar.            - Encore ? Que t'arrive-t-il ? Toi qui fais si peu de compliments !

                    C'est la première fois que tu me le dis, et tu choisis la nuit, quand on ne voit rien !

Abr.            - Saraï...je ne sais comment te le dire, mais... Nous allons entrer dans un  pays étranger.

Sar.            - Oui, je le sais Abram !

Abr.            - Je crains pour ma vie, Saraï !

Sar.            - Ma beauté te menace ? C'est toi qui m'inquiètes, Abram...

Abr.            - Je crains qu'en te voyant si belle ils veuillent me tuer puisque je suis ton mari.

                     S'ils me tuent, ils feront de toi ce qu'ils voudront.

                    Comprends-tu femme ?

Sar.            - Oh ! Crois-tu ? Laisse-moi réfléchir...

 

Ils restent en silence sous la tente. Le vent léger abaisse puis soulève doucement les peaux qui la recouvrent. C'est comme la respiration de leur angoisse.

Soudain, Abram dit à Saraï:

 

Sar.            - J'ai une idée, Saraï !

Abr.            - Dis moi !

Sar.            - Voilà mon idée: Disons leur que nous sommes frère et sœur !

                   Ainsi ils ne me tueront pas pour te posséder et je pourrai te protéger.

Sar.            - Oh ! Crois-tu, Abram ? Ça ne se voit pas que nous sommes mariés ?

                  Comment vais-je faire ?

                  C'est moi que tu mets dans la crainte, Abram !

                  Que feront-ils quand ils verront la façon dont je te regarde ?

Abr.            - On ne peut que faire du bien à une femme aussi belle que toi !

Sar.            - Oh ! Abram !

 

Saraï tourne le dos à Abram et reste silencieuse, puis elle se lève et sort de la tente.

Abram l'appelle en vain puis se lève à son tour pour la chercher.

Elle est dehors, assise sur un rocher, le visage comme pierre.

 

Sar.            - Tu n'es qu'un homme, Abram ! Tu ne peux comprendre.

                     Je ne veux pas rn'être que ta sœur...

Abr.            - Saraï ! Si nous n'entrons pas en Égypte, nous mourrons de faim et si je reste ton mari,                     ils me tueront. Peut-être est-ce le prix de la beauté ?

Sar.            - Abram ! Prie celui que tu appelais en Canaan, près de l'autel.

                    Sans lui, nous sommes perdus.

           

Ils rentrent sous la tente et le lendemain, la caravane s'engage en Égypte.

Saraï a mis un vêtement de jeune fille et les jeunes égyptiens qui les voient passer n'en croient pas leurs yeux, ils changent de route et suivent de loin la caravane.

           

Un Égypt.            - Avez-vous déjà vu une femme aussi belle !

 

 

***

 

 

 La lumière s'éteint pour Saraï. Le masque de sa beauté reste seul visible.

Elle découvre soudain la ville, la foule, les palais et toujours ces hommes.

Il suffit qu'ils voient ses yeux pour imaginer sous le voile la femme de leurs rêves.

 

Sar.            - Abram, mon frère...Que m'as-tu fait ?

            pourquoi ces yeux qui me transpercent ?

            Abram mon frère...pourquoi as tu peur qu'ils te tuent si je suis ta femme ?

            Je ne te reconnais pas.

            Est-ce un rêve ?

            Pourquoi ces hommes m'entraînent ils vers le palais de Pharaon ?

            Abram, mon mari ! Prie ton dieu qu'il me soutienne.

            Ne suis-je donc que beauté ?

            Tu me vends ! Tu m'as vendue !

            Je vois les troupeaux qu'ils ont échangé contre moi, les bovins, les moutons, ânes,

            domestiques, ânesses et chameaux.

            Voilà ce que je suis devenue à tes yeux.

            Cent cornes et dix serviteurs pour une femme, la sœur de l'hébreu !

 

Le soir, dans le palais où l'ont entraînée les envoyés de Pharaon, elle se couvre les yeux

pour que nul ne voie couler ses larmes.

Car elle devine le pouvoir des larmes d'une femme sur les hommes.

Elle se sait forte mais ne voudrait pas utiliser les armes des femmes.

C'est trop pour Saraï d'être à la fois belle, femme, sœur, et vendue.

Dans le palais du pharaon, elle finit par s'endormir sur la couche de reine préparée pour elle.

Elle rêve et son rêve l'étonne:

 

Sar.            - Princesse mon père m'a nommée, princesse je suis.

            regardez tous, je danse devant le dieu Pharaon.

            Il va me choisir, me préférer aux autres.

            Je danse et me vois danser du haut des portiques,

            le long des marches, des chemins d'eau et de fleurs.

            Mon père m'a nommée princesse, Saraï je suis...

 

Soudain le rêve se brise: une servante la réveille brsquement et crie:

 

Serv.            - Debout ! Pharaon veut te voir !

 

Elle se lève et titube le long des marches et des couloirs sans fin, glacés sous ses pieds.

Le papillon du rêve se traîne sur le sol.

Elle crie alors du fond de son être, là où nul ne peut l'atteindre, là où nul homme ne pénètre:

 

Sar.            - Viens à mon secours, Dieu d'Abram ! Viens !

           

Les bras des femmes la saisissent et elle se retrouve seule dans une pièce blanche.

Sur les murs, des boiseries ajourées ne laissent rien deviner du reste du palais.

Jamais elle n'a été aussi seule.

Un frisson la parcourt quand elle entend des froissements d'étoffes.

A sa gauche brille un instant un éclat d'or puis un rouge profond et un bleu turquoise.

Est-ce Pharaon qui passe et la regarde ?

Qui est Dieu ? Qui la voit ainsi ?

Comment vont s'entendre le dieu Pharaon et le Dieu qu'appelait Abram de sa voix silencieuse ?

La regardent-ils tous les deux ?

 

Sar.           - Je ne suis que la petite Saraï ! Faites de moi ce qui est bon.

 

Elle ferme les yeux et se fait pierre.

La blanche pâleur de ses traits renforce sa beauté.

Son corps perçoit qu'un homme est entré dans la pièce et la regarde.

Les deux respirations s'accordent et nul bruit ne parvient aux oreilles tendues de Sara.

 

Le corps de Saraï commence à trembler mais son être est serein.

A cet instant, la confiance d'Abram traverse les ruelles, les murs et le palais puis envahit la pièce.

Le cri silencieux d'Abram devant l'autel devient le cri silencieux de Saraï.

 

Quand elle ouvre les yeux, il n'y a plus qu'elle dans la chambre.

le visiteur est reparti, aussi silencieusement qu'il est venu.

Elle s'assied sur les coussins et des servantes lui portent à manger.

La porte s'ouvre sur un frais jardin. Elle sort et, ombre blanche, parcourt les allées.

 

Elle ne doit surtout pas lever les yeux vers les fenêtres du palais.

Si Pharaon est là, leurs regards ne doivent pas se croiser: Regarder un dieu c'est mourir...

Les pensées de Saraï s'éparpillent en elle, elle ne parvient plus à les réunir.

Le contraste est trop fort entre Haran, Canaan, le désert et ce palais.

 

Saraï regagne sa chambre et se retrouve seule. Le visiteur viendra-t-il à nouveau ?

Quand le soleil du matin la réveille, un léger froncement de son nez lui dit qu'il est venu.

Il flotte une légère odeur d'étoffe d'homme et non de femme.

 

La troisième nuit voit augmenter ensemble son trouble et son assurance.

Cette fois ses yeux grand ouverts manifestent sa confiance et chassent la crainte.

La porte s'ouvre et l'homme s'avance à la lumière d'une lampe à huile.

les rayons de la lampe qu'il tient d'une main le font paraître immense.

Saraï garde les yeux ouverts.

 

Phar.            - Alors c'est toi, Saraï ? La sœur de l'hébreu Abram?

Sar.               - Je suis Saraï, c'est vrai.

Phar.            - C'est vrai aussi que tu es belle.

                      Voici trois jours que je te regarde.

                     Le cœur ne me serre pas comme devant les autres femmes. Qui es-tu donc ?

Sar.            - Je ne suis que Saraï, fille de Terah de Haran.

 

Les deux se découvrent longuement des yeux puis ils les ferment pour mieux garder en eux l'image de l'autre.

La lumière de la mèche et de l'huile, comme un œil humain, ne les dévoile qu'en partie et respecte les ombres.

 

Phar.            - Saraï ! Tu es belle ! Mais qu'y a-t-il en toi qui échappe à mon esprit ?

Sar.              - Je suis Saraï. C'est tout !

Phar.            - Non, Saraï, je ne suis pas tout et tu n'es pas tout. Je le sens.

 

Le corps de Pharaon, figé jusque là comme statue, s'anime légèrement.

Son bras droit se tend lentement vers Saraï, main ouverte, puis il se fige à nouveau.

Saraï lève une main, le visage et les yeux et reste ainsi, immobile.

 

Sar.            - Puis-je te parler, Pharaon ?

Phar.         - Parle, Saraï !

Sar.            - Je crains de te décevoir, grand Pharaon.

Phar.         - Comment serait-ce possible ? Belle Saraï !

Sar.            - Je ne suis pas tout à fait celle que tu crois.

                   Je ne veux pas te décevoir, Pharaon. Je ne peux mentir à tes yeux.

en-gb">Phar.         - Une femme comme toi ne peut rien cacher ! Tu m'étonnes !

                   Serait-ce que...

           

Sar.            - Une femme ne dit pas ces choses là. Elle dit qu'elle l'aime à celui qu'elle aime.

Phar.          - Et...Qu'est-e qui t'empêcherait de m'aimer, moi, un dieu sur l'Égypte ?

Sar.            - Mon cœur a été touché deux fois, par un homme et par notre Dieu.

Phar.          - Alors! Tu n'es pas vierge ?

Sar.            - Je n'ai pas d'enfant mais je suis femme.

 

Pharaon se fige comme marbre et dit d'une voix sourde qui monte et envahit la pièce:

 

Phar.            - Ton dieu me touche ! Ton Dieu m'atteint.. Ton Dieu m'ébranle !

 

Il se lève, pose sur Saraï un regard aussi admiratif qu'effrayé et sort en claquant violemment la porte. Le palais l'entend crier:

 

Phar.            - Qui est ce Dieu qui m'ébranle et me touche ?

 

Le silence envahit le palais jusqu'au matin.

 

Au lever du jour, serviteurs et servantes glissent sans bruit dans les couloirs et les escaliers.

Chez eux, la colère d'un dieu est mortelle. Chacun baisse les yeux et courbe le dos.

 

Saraï est restée seule avec son Dieu et sa confiance en Abram.

Qu'importe ce qui arrivera maintenant !

Ses lèvres bougent lentement mais nul humain n'entend leur dire.

Est-ce cela, prier ?

 

A midi, comme un claquement de fouet, les ordres fusent, tous courent dans le palais et les rues voisines.

Des gardes vont chercher Abram et l'amènent devant le trône de Pharaon.

Des servantes invitent Saraï à les suivre.

Elle découvre Pharaon couvert d'or, entouré de ses conseillers.

 

Un grand silence se fait. Les oiseaux du ciel se posent, une brise légère se lève.

 

Pharaon parle, il crie vers Abram pour dire:

 

Phar.   - Que m'as-tu donc fait ? Pourquoi ne m'as-tu pas rapporté qu'elle est ta femme ?

            Pourquoi as-tu dit: "c'est ma sœur" !

            Je l'ai prise à moi pour femme.

            Maintenant voici ta femme, prends la !                        Gen. 12, 18-20

 

Les ordres fusent, les gardes courent, Pharaon regarde au loin.

Ils encadrent Abram et Sara, les conduisent dehors.

Puis ils les renvoient d'Égypte avec tous leurs biens

 

 

           

 

Jacques Orfila et un atelier  12.2009

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 novembre 2012 6 24 /11 /novembre /2012 09:41

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                                                                                                                                 Gen. 22...23

 

Transportons-nous aux temps d’Abraham et de Sarah, qui peuvent être aussi les nôtres...

Abraham est redescendu de la montagne avec Isaac.

Le couteau du père a menacé le fils de la promesse, et l’ange du Seigneur a retenu sa main.

Les deux sont bouleversés. Que vont-ils dire  à Sarah ? Sarah, comme toutes les mères, sent monter son angoisse. Sa beauté devient tragique. Elle veut comprendre. Elle pressent qu’un danger extrême a menacé son fils. D’où venait la menace ? Elle veut la conjurer.

Abraham, comme tant d'hommes parle peu. Il n’a pu pénétrer encore le sens de leur aventure.

Il est comme au réveil d’une nuit profonde.

 

 

 

Au campement d’Abraham, on chuchote, on questionne.

Trois servantes se tiennent à l’ombre d’une tente.

Elles aussi voudraient sortir de l’ombre qui les a tous recouverts.

 

Serv 1            - Vous avez vu le maître ? je ne l’ai pas reconnu.

Serv 2            - Si Hagar était encore ici, elle nous dirait.

Serv 3            - J’ai vu trembler Isaac lorsqu’il s’est déchargé du bois qu’il portait.

Serv.1            - Il ne m’a même pas regardée !

Serv.2            - Il est tout de suite parti sous la tente de Sarah, sa mère.           

Serv.3            - Je suis inquiète. Tout ceci ne présage rien de bon.

Serv.1            - Pourquoi t’inquiéter ? J’ai entendu un messager annoncer une naissance !

Serv.2            - Qui a enfanté ?

Serv.1            - C’est la femme de Bétouel. Le neveu du maître. Il a enfanté Rebecca

Serv.2            - Tu rêves ! Rebecca est née voilà au moins dix ans…

Serv.3            - Venez ! la maîtresse Sarah nous appelle. Je la trouve si fatiguée…

 

Isaac,  premier descendu de la montagne, court vers la tente de sa mère Sarah.

 

Sarah            - Mon fils ! Je te vois enfin ! Dis-moi pourquoi mon cœur s’inquiétait.

 

Isaac se presse contre elle, l’embrasse et ne dit rien.

 

Sarah            - Parle, fils ! Dis-moi. Que vous est-il arrivés ? Vous avez été si longs !

Isaac            - Je suis là, mère. Tu me vois ?

Sarah            - Je te vois et je respire. Tu es venu si tard pour moi. Je n’y croyais plus.

                        Faudra-t-il toujours que je t’espère ?

 

C’est elle qui l’embrasse et ils restent silencieux.

Une ombre d’homme se dessine à l’ouverture de la tente.

C’est le père. Il les voit, ne dit rien et s’éloigne en disant:

 

Abrah.            - Pourquoi ce garçon est-il si attaché à sa mère ? N’est-il pas maintenant un homme ?

 

Sarah donne à boire à Isaac qui la remercie. Il semble retrouver ses esprits.

Son visage si mobile retrouve presque son aspect habituel.

 

Sarah            - Bois, mon fils. Tu peux tout me dire.

Isaac            - Je ne sais pas. C’est difficile. Je n’ai pas encore compris.

Sarah            - Prends cette galette, tu parleras ensuite.

 

Abraham passe à nouveau devant la tente, hésite un instant et s’éloigne.

Sarah ne l’invite pas à entrer et demande à Isaac:

 

Sarah            - C’est avec ton père ? Vous vous êtes querellés ?

Isaac            - Pas du tout. Je lui ai seulement demandé où était l’agneau.

                       Il m’a répondu que dieu, l’élohim,  verrait ce qui lui conviendrait.

Sarah            - Vous ne m’aviez rien dit avant de partir. Qu’est-ce que cette histoire d’agneau ?

 

Isaac se remet à trembler, son visage se brouille. Il s’assied, se cache la tête sur les genoux.

Sarah se penche vers lui et l’entend murmurer:

 

Isaac            - J’ai fermé les yeux, j’étais mort et je suis vivant.

 

Sarah se lève brusquement, sort de la tente et appelle Abraham.

 

Sarah            - Abraham ! Abraham ! Où es-tu ?

                     Tu ne dis pas “me voici” comme tu le dis quand ton dieu te parle !

                     Où es-tu ?

 

Abraham est loin, il marche tête baissée. Lui aussi a rencontré la mort et la vie.

Comment le raconter à la belle Sarah. Ce qu’il a vécu lui est si personnel !

C’est arrivé entre son fils et lui et son Seigneur.

Une femme peut-elle avoir place ici ?

Il ne revient que le soir et se glisse dans la tente.

Il s’allonge sans un mot près de sa femme Sarah qui n’en dit pas davantage.

L’expérience lui a appris qu’un conflit sur la couche éloigne le sommeil pour la nuit entière.

Les servantes qui se glissent dans la nuit pour savoir elles aussi

n’entendent rien de plus que le souffle des dormeurs.

 

Au matin, ils se réveillent dos à dos.

Cela n’empêche pas de se parler à une distance salutaire.

 

Sarah            - Abraham ? Tu dors ?

Abrah.            - Je dors.

Sarah            - Abraham ? Dis-moi…?

Abrah.            - Que veux-tu que je dise ?

Sarah            - Je veux savoir ce qui vous est arrivé: Isaac est bouleversé.

Abrah.            - Je ne le sais pas moi-même.

Sarah            - Ne mens pas, tu me dois la vérité.

Abrah.            - Une femme ne peut comprendre.

Sarah            - C’est une mère qui demande.

                       Et…suis-je seulement “une femme” pour toi ?

Abrah.           - Tu es Sarah.

Sarah            - Ne suis-je pas partie d’Haran avec toi ? Ne t’ai-je pas accompagné ?

                     Jusqu’à me faire passer deux fois pour ta sœur afin de te sauver la vie…disais-tu !

Abrah.            - C’est vrai, tu es venue.

Sarah            - Quand tu es parti avec Isaac pour la montagne. Qui as-tu suivi ?

                    Était-ce le Seigneur que j’ai entendu au chêne de Mamré ?

                    Celui qui m’a fait rire ?

Abrah.           - C’était un elohim, j’ai cru…

Sarah            - Pourquoi ne m’as-tu pas demandé ? Je l’aurais reconnu.

Abrah.          - C’était une affaire d’hommes.

Sarah            - Et alors ? Qu’avez-vous fait ?

Abrah.          - C’était comme un rêve.

Sarah            - On n’emmène pas son fils dans un rêve. Dis-moi vrai.

Abrah.            - J’ai cru qu’il me demandait mon fils. Nous sommes montés.

Sarah            - Si le Seigneur t’avait demandé Isaac, cela ne pouvait être que pour son bien:

                     Puisque c’est lui qui nous l’a annoncé, quand j’ai ri sous la tente.

                    Pourquoi Isaac est-il si bouleversé ? Je ne le reconnais pas.

                    Il a perdu son nom. Il ne peut plus rire. Il a parlé d’agneau.

Abrah.         - J’ai cru…

Sarah          - Les hommes me feront toujours rire…ils croient n’importe quoi.

Abrah.         - Ce n’était pas n’importe quoi.

Sarah          - Tu n’es pas capable de reconnaître le Seigneur d’un elohim ?

                     Tu es parti comme un mouton avec mon fils.

Abrah.          - Femme, tais-toi !

Sarah           - Je suis ta femme, je ne me tais pas. Ne le sais-tu pas ? Regarde-moi !

 

Abraham se lève brusquement et quitte la tente.

Comment expliquer à Sarah ce qu’il n’a pas encore compris lui-même ?

 

 

Les servantes s’affairent. Ce n’est pas bon de voir le maître en colère. Et Sarah encore plus.

Tout le campement chuchote.

On questionne les deux garçons qui accompagnaient le père et le fils.

 

X            - Que s’est-il passé ? Dites-nous, vous qui étiez avec eux.

1            -Nous montions tranquillement, puis, près du sommet ils nous ont dit de nous asseoir près                 de l’âne et ils sont partis, seuls.

X            - Et après ? Qu’avez-vous vu ?

2            - C’était trop loin.

1            - Je crois qu’il a attaché son fils Isaac.

2            - Puis j’ai vu briller quelque chose comme une lame dans le soleil.

X            - Et ensuite ?

1            - Ils ont couru dans les buissons et j’ai entendu bêler un bouc.

2            - Puis ils sont redescendus. C’est tout.

 

Chacun retourne à sa tâche en hochant la tête.

 

X            - Cet Abraham nous étonnera toujours.

Y            - Allons nous occuper d’Isaac. Il n’est pas bien.

1            - Nous deux,  allons voir Sarah, je l’entends pleurer.

               Elle est si belle, même quand elle pleure.

 

 

La journée s’annonce chaude, les herbes, les prés, les oliviers, les monts,

les fleurs accueillent le soleil de toutes leurs couleurs.

Les insectes, jardiniers attentifs, voyagent de l’une à l’autre.

Dans une indifférence totale aux peines humaines.

Pourtant, les chiens n’aboient pas, les chats ne veulent ni sortir ni rentrer.

Les coqs dressés attendent on ne sait quoi.

 

                                                       ***

 

Isaac n’a pas dormi. Le choc a été pour lui si inattendu qu’il en est hébété.

Il prend une distance inhabituelle avec son père.

Il ne court plus derrière lui comme à l’accoutumée.

Ils ne se sont encore rien dit.

Parfois il se voile les yeux comme si un glaive le menaçait à nouveau.

Il réalise soudain que ce glaive menaçant n’était que le couteau utilisé par le prêtre

pour couper le cordon ou circoncir les bébés.

 

Sarah décide d’utiliser la manière des femmes, expertes pour glisser un mot là ou il faut.

Au repas, on n’entend que la mastication du pain et l’aspiration du lait.

 

Abrah.            - Sarah ?

Sarah            - Je t’écoute, mon mari. Parle.

Abrah.            - Tu sais, Sarah…

Sarah            - Non, je ne sais pas.

Abrah.            - Si… Tu sais, tu connais notre amour pour Isaac.

Sarah            - Oui, je connais le mien, pour le tien, je ne sais plus.

 

Abraham pose son bol et chasse comme mouche la remarque de Sarah.

 

Abrah.           - Il me semble avoir vécu des années et des années en un seul jour.

Sarah            - Oui ?

Abrah.           - Je t’ai dit tout à l’heure que j’avais entendu un elohim avant de monter.

                      Il me semble maintenant qu’il y en avait plusieurs

                       et j’ai pensé à toutes les idoles qu’adorait notre père à Haran.

                      Autrefois, j’ai entendu dire que pour satisfaire des elohim, on tuait des enfants

Sarah            - Tu veux dire que tu étais prêt à sacrifier notre fils Isaac ?

Abrah.           - Quand je suis parti avec lui sur la demande d’un élohim,

                      j’ai d’abord pensé à une épreuve pour m’aider à m’en séparer un jour.

                     En montant, l’effort m’a grisé, je me suis senti comme emporté,

                     capable de n’importe quoi pour plaire à un dieu.

Sarah           - Tu veux dire pour plaire à une idole !

                    Quand arriveras-tu à reconnaître celui qui nous a mis en route ?

                    Lui, il n’est pas une idole de pierre ou de bois ?

Abrah.         - Tu me fatigues, Sarah !

                   Tes paroles ne me touchent plus. Tout cela est trop récent.

                   Laisse-moi du temps.

Sarah            - C’est çà…je vais te laisser mijoter, comme la viande sur le feu.

Abrah.          - C’est toi qui me brûles avec tes questions.

                      Arrête !

                     Je sors.

 

                                                                        ***

 

Serviteurs et servantes chantonnent tristement:

 

            - Quand les dieux cesseront-ils de nous tourmenter ?

            - Ces diables habillés en dieux nous cuisinent à leur façon

            - Sommes-nous donc légumes, viandes ou poissons ?

            - Fuyons, fuyons ces cuisiniers sans vérité…

            - Où courir ? Où monter ou bien descendre…?

            - Qui va pour nous les réduire en cendres !

 

                                                                        ***

 

Abraham, Sarah et Isaac s’évitent tout au long du jour.

Abraham taille rageusement des piquets pour la tente,

Isaac jette des pierres au loin et voudrait être pierre.

Sarah traîne sa beauté inutile de la tente au foyer,

Du foyer aux chèvres, des chèvres à la volaille.

Comme on disait à l’époque: “leur faces sont tombées”.

Abraham, le premier, s’approche de Sarah pour lui dire:

 

Abrah.            - Sarah ! J’ai besoin de te parler.

Sarah            - Si c’est seulement du besoin, tu n’as pas besoin de moi.

 

Abraham reste debout à côté de Sarah. Ils se demandent  en eux mêmes:

 

Abrah.            - Pourquoi est-il si difficle à l’homme et à la femme de se parler .

Sarah            - A quoi bon être belle ? Il ne me regarde plus. Comme s’il avait peur.

 

C’est le premier chien du troupeau qui les tire d’affaire: il vient frétiller de l’un à l’autre en quête d’une attention. Tous deux le regardent  affectueusement. Il s’assied alors sur son arrière train et les fixe l’un après l’autre.

 

Abrah.            - Tu vois ce chien, Sarah ?

Sarah            - Je le vois, Abraham.

                        Faut-il que je fasse comme lui pour que tu me regardes?

Abrah.           - Femme ! Viens sous la tente, nous avons à parler.

 

Et il se tourne vers le chien pour lui dire avec un sourire:

 

Abrah.            - Merci, le chien.

 

Le coq se met à chanter, le chat jaillit de la tente, trois oiseaux se poursuivent.

Sous la tente, Abraham et Sarah, assis face à face se servent une boisson bien chaude avant de se parler.

 

Abrah.            - Faut-il un chemin aussi difficile pour que je te regarde à nouveau ?

Sarah            - Je savais que ton cœur me regardait, mais je désirais voir tes yeux.

Abrah.           - C’est vrai, autrefois j’aimais aussi regarder au fond des puits, on y voit comme                        un œil, comme si le Seigneur nous voyait.

Sarah            - Parle moi de lui, de celui qui t’a lancé sur les chemins.

                      Quand nous étions jeunes mariés, à Haran.

Abrah.           - Il y a un pacte, tranché, établi entre nous.

Sarah            - Tu me l’as déjà dit. Est-ce que je suis dans ce pacte ?

Abrah.           - Il n’y aurait pas de pacte sans toi: il s’agit de notre descendance à tous les deux.

Sarah            - Alors, dis moi, n’y a-t-il pas aussi un pacte entre nous deux ?

Abrah.           - Tu vois, Sarah! Je vois la main du Seigneur dans le pacte entre nous deux.

                      Ce n’est pas une main qui pèse. C’est nous qui sommes posés sur elle.

Sarah            - J’ai été un peu jalouse: il te parlait. C’est ce que tu me disais.

                      Il se faisait voir à toi…mais je ne voyais rien.

                      Tu as aussi crié son nom, mais je n’ai rien entendu.

Abrah.            - Il t’a parlé quand tu étais sous la tente…

Sarah            - Quand trois hommes sont venus au chêne de Mamré ?

Abrah.            - Oui, il m’annonçait une descendance et tu as ri.

                      J’en ai eu honte.

Sarah            - Et moi j’en suis fière. Ce rire était comme une brisure en moi

                      Qui ouvrait une brèche, une porte, un espace. C’était un rire dans mon sein.

Abrah.            - Alors ? Pourquoi lui as-tu dit que tu n’avais pas ri ?

Sarah            - Je n’ai pas ri la bouche ouverte, c’était un rire dans mon sein.

                       Aucune femme ne raconte ce qui se passe en elle.

                       J’ai dit que je n’avais pas ri la bouche ouverte. C’est tout.

Abrah.            - Alors, femme…comment a-t-il su que tu riais dans ton sein ?

Sarah            - C’est bien ce qui m’a surprise. C’était comme indiscret de sa part.

                       Ce qui riait en moi ne le concernait pas,

Abrah.           - En es-tu bien sûre ?

Sarah            - Que veux-tu dire?...Tu voudrais dire que…

Abrah.           - Continue…tu le sais…

Sarah            - Tu crois ?

Abrah.           - C’est vrai.

Sarah            - Tu voudrais dire que le rire en mon sein était comme une place qu’il ouvrait,

                     Un nid qu’il préparait, alors que j’étais une femme stérile, une femme maudite ?

                    La place qu’a occupée ensuite Isaac dont le nom veut dire:”il rira”…

Abrah.           - Seule toi peux l’avoir senti !

Sarah            - Et toi, mon mari, comment as-tu su, pour me parler ainsi ?

Abrah.            - Il me l’avait annoncé quelques jours plus tôt.

                        Te souviens-tu du temps où je t’ai appelée Sarah

                       et non plus Saraï, la princesse d’un autre ?

Sarah            - Je me souviens maintenant.

                      C’est aussi le temps où je t’ai appelé Abraham et non plus Abram.

Abrah.          - C’est ce jour là. C’est aussi pourquoi j’ai aussi bien accueilli les trois hommes

                     Au chêne de Mamré: Ils venaient pour toi, pour nous, pour Isaac.

 

Ils n’ont pas le désir d’autres paroles entre eux.

Il n’y a plus un bruit dans la grande tente.

Abraham regarde le profil de Sarah, toujours aussi belle.

Elle se sait regardée, comme toute femme le sait, mais elle ne dit rien.

La nuit tombe sur le campement.

 

 

***

 

 

            Isaac            - A l’aide ! Au secours ! On veut me tuer !

 

Le cri d’Isaac déchire la nuit. Il est dressé sur sa couche, le front embué de sueur, yeux perdus,  membres tremblants.

Abraham se retourne et se rendort.

Sarah se précipite vers son unique.

 

Sarah            - Qu’as-tu, fils ?

Isaac            - J’ai vu un homme…j’ai vu un couteau… Il voulait me tuer !

Sarah            - Qui cela, mon fils ?

Isaac            - Ton mari, mon père, Abraham.

           

Sarah, figée par la terreur de son grand fils, le berce lentement, au rythme de son affection.

Les mots d’Isaac ne l’ont pas encore pénétrée.

 

Isaac            - Tu n’étais pas là, mère Sarah ! J’étais perdu.

                      Je sentais déjà la lame me transpercer.

 

Un  froid glacial envahit Sarah, elle découvre la poitrine d’Isaac, la caresse de la main,

ne trouve aucune plaie et lui dit:

 

Sarah            - C’était un mauvais rêve, mon fils.

                        Il n’y a pas de plaie, pas de couteau et ton père dort.

Isaac            - Le couteau a épargné la peau mais a touché le cœur.

                      Je le sens, crois-moi.

 

La main de Sarah s’immobilise et sent les battements précipités du cœur d’Isaac.

 

Sarah            - Mon fils ! Ton cœur bat, tu es vivant.

Isaac            - Pourquoi alors cette déchirure en moi ?

           

Il se lève brusquement, sort de la tente et court dans le campement, comme il aimait le faire, petit.

Il court et il court et son cœur s’apaise.

En passant devant la tente, il s’arrête et dit:

 

Isaac            - Mère Sarah ! je me sens plus léger, comme libéré d’un poids.

                    J’ai toujours mal mais je vis, ma vigueur ouvre des ailes.

 

Sarah le regarde passer d’une course vive et d’un coup, le voit en pensée quitter la tente, se marier, faire enfanter, s’éloigner dans les années…

Elle, Sarah, ne sera plus là, mais qu’importe !

Doucement elle referme la toile et s’allonge près d’Abraham.

Au matin, c’est lui, Abraham, qui, penché vers elle, voit ses yeux s’ouvrir et lui demande:

 

Abrah.            - Sarah ? Quel est ce bruit, ce mouvement qui m’a irrité cette nuit ?

Sarah            - C’est toi qui le demande ?

Abrah.            - Oui, c’est moi. Mes narines ont commencé à brûler et je me suis rendormi.

Sarah            - Tu m’étonneras toujours, Abraham !

            Comment peux-tu être si différent de moi ?

            Comment peux-tu toujours penser autre ?

            C’était Isaac avec un très mauvais rêve.

            Il disait que tu le tuais avec un couteau.

 

Cette fois Abraham est réveillé et les faits du jour précédent passent devant ses yeux.

Il essaie de les arrêter mais ils passent et repassent.

Il demande de l’eau et Sarah l’asperge avec vigueur.

 

Sarah            - Il est temps que tu te réveilles et me dise ce qui vous est arrivé.

            Pourquoi cette terreur de notre fils ?

            Hier, tu m’as parlé, mais tu ne m’as pas tout dit.

            J’en suis certaine.

            Ensuite tu m’as fait taire.

            Tu me disais que tu étais prêt à sacrifier ton fils. C’était donc vrai ?

Abrah.            - Je n’étais plus moi-même, une force venue du fond des âges

            m’a fait lever la main et le couteau.

            J’avais entendu chez mon père des récits de divinités qui dévoraient leurs enfants.

            D’autres qui enterraient des bébés à l’entrée des villes.

            J’ai soudain vu Isaac adulte et fort devant moi vieillissant et incapable.

            J’ai eu peur de son regard suppliant qui pouvait devenir triomphant.

Sarah            - Toi ? mon mari ?

Abrah.           - Oui, moi, je ne méritais même plus le nom d’Abram. Le nom de père.

            Je ne voulais plus donner la vie à un dangereux inconnu.

            J’obéissais aveuglément à un elohim, statue sans yeux et sans oreilles.

            Je l’ai attaché et pris pour un agneau.

 

Sarah se prend la tête dans les mains et gémit:

 

Sarah            - Mes jours ne pourront beaucoup se prolonger

            Ce sera préférable au supplice de dormir avec toi.

 

Abraham ressent une déchirure intérieure, comme la morsure d’un animal immonde.

Il se dresse, prend son bâton et dit à sa femme:

 

Abrah.            - Sarah ! ma femme ! Je ne suis pas une divinité. Nous sommes tous deux pétris par le             même potier. N’oublie pas que tu es aussi ma sœur, que nous avons même père sans   avoir             même mère. J’en ai toujours craint les conséquences. On a toujours dit que ce n’était pas bon.

            Est-ce cela que nous payons ? Je ne sais…

            Es-tu meilleure que moi ?

 

Sarah pleure de saisissement, elle pleure sans bruit, comme un ruisseau naissant.

 

Sarah            - Tu dis vrai, Abraham. Je suis aussi ta sœur et tu me l’as fait comprendre avec 

            Pharaon et Abimelek. Tu ne voulais pas mourir et j’étais si belle…

            Abimelek, le roi père, nous a dit aussi de nous choisir comme mari et femme

Abrah.            - Et non comme frères et sœurs, je me souviens.

Sarah            - Pourquoi le Seigneur nous a-t-il saisis ainsi ?

            Il aurait pu choisir un homme et une femme comme les autres ?

            Je me souviens… Je ne vaux pas mieux que toi.

            Lorsque je t’ai demandé de répudier Hagar et banir Ismaël à cause de son rire.

            Tu m’as obéi, cela m’a étonné. Que voulait dire son rire ? Que voulait-il ouvrir ?

            La première fois, Hagar m’avait offensée et je devais me défendre, mais la seconde…

Abrah.            - La première fois, c’est le Seigneur qui l’avait fait revenir, soumise.

            C’est toujours lui, le Seigneur, qui n’a cessé de nous réveiller,

             de nous sortir d’un monde passé plein de fureur.

Sarah            - Isaac et toute sa descendance ne seront pas de trop pour ouvrir ce chemin…

 

Sarah se relève soudain et dit impérieusement à Abraham:

 

Sarah            - Dis-moi, Abraham; Nous disons peut-être de belles choses,

            Nous nous frappons la poitrine, mais tu ne m’as toujours pas dit

            Pourquoi, dans ta fureur, tu n’as pas fait davantage de mal à Isaac ?

Abrah.            - Un messager du Seigneur a crié vers moi depuis les ciels

            Il a retenu mon bras, et m’a dit:”Ne lance pas ta main vers l’adolescent !

             Ne lui fais rien !” Je sais maintenant que tu crains les elohim.

            Tu n’as pas retiré Isaac de la présence du Seigneur” .

            Je me suis arrêté car j’ai reconnu le Seigneur et je le bénis !

            Toute l’humanité saura maintenant que les sacrifices d’enfants sont interdits.

            J’ai compris que les idoles voulaient la mort alors que le Seigneur voulait la vie.

            Les idoles voulaient que je sacrifie Isaac sur la montagne

            alors que le Seigneur voulait seulement que je monte Isaac en sa présence...

            pour aussi apprendre à me détacher de lui et pour qu'il aille sa vie.

            C’est pourquoi il m’a remercié d’avoir monté Isaac vers lui.

            Nous avons tué un bouc qui était là. à travers ce bouc, nous avons tué les idoles.

            Comprends-tu, femme ?

            C’est là que j'ai découvert la différence entre le Seigneur et les élohims, les idoles.

            Les idoles sont sacrées pour le monde, mais le Seigneur est Saint: Aucune mort en lui.

            Je garde une peine profonde en moi, le rappel de ma faiblesse:

             Isaac l’a découverte en me voyant au dessus de lui avec le couteau.

             Comment le rassurer ?

Sarah            - Souvent je ne comprends pas ce Seigneur avec lequel tu parles.

            N’aurait-il  pu intervenir plus tôt ?

Abrah.            - Je l’ai pensé également.

            Il me semble qu’il nous laisse explorer tout notre être avant de nous arrêter;
            peut-être resterions nous des enfants s’il nous tenait toujours la main ?

            J’ai aussi découvert que mon attachement à Isaac était excessif.

            Tu as vu ? Il ne me suit plus comme un petit chien.

Sarah            - C’est vrai, mais je le trouve bien violent ton Seigneur.

            J’aimerais qu’il comprenne mieux ce qu’est un cœur de mère.

 

A cet instant, Sarah pousse un gémissement, pose une main sur sa poitrine et dit:

 

Sarah            -  Abraham! Abraham !

Abrah.           - Je suis là.

Sarah            - Tiens moi la main, quelque chose se déchire dans ma poitrine.

                     Le souffle me manque. C’est trop pour mon cœur.

                     Suis-je au bout de mes jours ?

Abrah.          - Sarah ! ma femme…

Sarah           - Appelle Isaac… je veux lui dire…

Abrah.          - Je l’appelle ! 

                     Isaac ! viens vite, ta mère veut te parler.

 

Isaac arrive en courant et se penche vers sa mère:

 

Sarah            - Isaac, mon fils, n’oublie jamais combien ton père est bon quand il écoute le Seigneur.

                     N’oublie jamais de rire…pour honorer le nom qu’il a crié pour toi.

                     Donnez-moi tous deux la main.

 

Sarah ne parle plus.

Tous la veillent avec tendresse, elle est aussi belle que pour ses vingt ans.

Rassasiée de jours, elle s’éteint après quelques nuits.

Abraham achète pour elle la grotte de Makhpela où il l’ensevelit, à Hebron.

 

 

                                                                                                J.O.  2009-2012                                                                                   

 

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24 septembre 2012 1 24 /09 /septembre /2012 15:56

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Les textes de l'Écriture font surtout parler les hommes. C'était ainsi, dans l'ancien temps.

Aujourd'hui, où l'aurore pointe pour les femmes, n'est-il pas bon de questionner les textes de nouvelle façon ?

C'est ce que nous avons tenté en demandant par exemple à Saraï comme aux femmes d'aujourd'hui, comment elles peuvent vivre et penser aux côtés d'un grand Abram ?

C'est ce que permet une lecture symbolique des textes: Ce que l'histoire a figé dans un instant du passé, le symbole peut l'ouvrir au présent.

Si le fil du temps ne se remonte pas, un éclair sur ce fil peut nous envoyer sa lumière et nous parler.

Si le silence du désert est infini, il peut prononcer des paroles.

Nous les avons  recherchées comme l'astronome le fait  pour les étoiles dans le silence de la nuit.

 

 

La vie de Saraï au côté d'Abram ...              (en ouvrant  le livre de la Genèse chap.15)

 

La belle Saraï est sous la tente d'Abram.

Il revient de ses guerres avec les rois.

Ce n'est pas un bavard mais il est revenu différent.

Ce qu'il n'a pas dit, les serviteurs l'ont laissé deviner:

Il aurait fait des rencontres et partagé du pain et du vin avec un "roi de justice",

mais un conflit pourrait naître avec le roi de Sodome

car Abram ne veut rien devoir à cet homme."Pas même un lacet de sandale" ont dit les serviteurs.

Comme souvent, Saraï ne dort pas et se dit:

 

Saraï            - Pourquoi mon mari s'appelle-t-il "Père haut" ?

                    Qui lui a donné ce nom, alors qu'il est tout sauf père puisque nous n'avons pas d'enfant ?

                    Ou alors me considère-t-il comme sa fille: puisque Sara signifie princesse et que  aï 

                   indique mon appartenance à quelqu'un ?

 

Saraï pleure sans bruit.

De ces pleurs qu'il vaut mieux cacher parce que les hommes ne les comprennent pas.

Elle a vu la joie de ses amies qui attendaient puis berçaient un nourrisson.

Pourquoi son corps est-il ainsi maudit par la honte ? Où est sa faute ?

Elle se rendort, repliée sur elle même, comme enfant de tristesse.

 

Voilà qu'Abram s'agite, s'assied brusquement et reste ainsi, comme figé.

Les panneaux de la tente bougent doucement.

Un filet de lumière de nuit éclare son visage.

Il semble dans la crainte.

Saraï s'éveille à demi et l'entrevoit ...Aurait-il fait un songe ?

Yeux mi clos, elle le regarde et se questionne elle-même:

             

 

Saraï            - Que pense cet homme ? Oh ! Voici que je dis de lui "cet homme"

                    alors qu'il est si proche et qu'il est avant tout mon mari, Abram.

                   C'est vrai qu'il est aussi un homme...

                   Et moi ? Suis-je une vraie femme ?

 

Soudain un cri sous la tente, c'est Abram qui crie:

 

Abram            - Adonaï ! Monseigneur ! Toi qui est Seigneur pour moi !

 

Le silence retombe. Cette fois les yeux de Saraï sont grand ouverts et son esprit s'agite.

 

Saraï            - Il parle d'un Seigneur pour lui: Adon-aï.: Seigneur de moi... Qui est-ce ?

                    Toujours le même ?

                    C'est vrai que moi aussi j'ai un aï qui termine mon nom....

 

Et voilà qu'Abram continue à parler:

 

Abram            - Je vais sans postérité ! Tu ne m'as pas donné de semence ?...

 

Saraï cesse de respirer: il parle d'avenir, de postérité, de semence.

Son mari Abram n'aurait-il pas reçu de semence pour elle ?

C'est la femme qui reçoit la semence ! Depuis toujours !

De qui parle-t-il ? Qui pourrait lui donner de la semence ? Et quelle semence ?

 

Abram se lève soudain et sort de la tente dont le vent soulève la porte à cet instant.

Qu'y-a-t-il donc dehors ?

Saraï se glisse derrière lui et, tête renversée vers le ciel voit ce qu'il voit:

Une multitude d'étoiles que nul ne peut compter.

Abram est là, posé sur le rocher, tête renversée, comme elle, et il contemple longuement.

Puis soudain, comme s'il s'adressait à tous les ciels réunis, il crie:

 

Abram            - Amen ! C'est vrai !

 

Un vent de douceur lui répond et lève une fine poussière dont les grains innombrables brillent de la lumière des étoiles.

 

Saraï            - C'est le désert qui parle ! Pas vrai ?

 

Éblouie par le spectacle, elle recule sans bruit sous la tente et retrouve sa place.

Abram tout frais de nuit la rejoint.

Un instant, elle a envie de lui poser des questions...

Mais on ne pose pas de questions lorsque la poussière et les étoiles brillent d'une même lumière.

Saraï se fait silencieuse comme le désert.

Un sommeil frais et chaud comme la nuit les saisit et les emporte.

 

Le lendemain, Abram est tout autre mais ne dit rien à Saraï.

Elle l'observe et découvre qu'on ne peut tout savoir et tout attendre de l'autre.

L'amour lui même pourrait-t-il clore les lèvres ?

 

Quelques jours passent, mais non pas comme des jours ordinaires.

Ceux là sont gros d'inconnu, d'annonce, d'attente, car l'espoir n'est pas encore né.

Ce temps laisse un souvenir de porte qui s'entrouvre.

Ces jours là mûriraient-ils comme des fruits qui attendent leur jour ?

La lune aussi passe et repasse.

Puis, soudain, comme par un matin de printemps,

Abram rapporte de leurs troupeaux une génisse, une chèvre et un bélier.

           

Saraï            - Que va-t-il faire là ?

 

C'est ce que se demande Saraï et ceux qui s'éveillent autour d'elle.

Abram s'approche d'une grande pierre.

Chaque tente s'entrouvre et laisse passer les têtes ensommeillés.

Sagement, à distance, les yeux ne quittent pas Abram.

Et la journée passe ainsi sur tous ces gens assemblés de loin. Elle passe jusqu'au soir.

Car tout a toujours commencé le soir.

Que vont-ils voir ? Cette fois ils s'approchent et entourent le père.

 

C'est alors qu'il tranche en deux la génisse, la chèvre et le bélier.

Tous les détails s'impriment dans la mémoire des assistants.

 

Ils voient Abram partager chaque animal par moitiés et les poser face à face.

Puis c'est un cri d'oiseau, ou même d'oisillon qui surgit de la main d'Abram.

Il le sacrifice mais ne le partage pas..

 

Saraï est interdite et cherche à comprendre.

 

Saraï            - Pourquoi tout cela ?

            C'est vrai que notre troupeau, ce qui nous appartient, est bovins, chèvres et moutons...

            Alors que les oiseaux ne nous appartiennent pas...

            Abram voudrait-il partager ses biens, nos biens avec quelqu'un ?

 

            Ou bien... ou bien...

            Est-ce comme dans les grands récits qui sortent le soir de la bouche des ancêtres:

            On y entend un mots étrange lorsque deux amis "tranchent" une alliance" entre eux.

            Que faut-il trancher quand on se met d'accord ?

            Saraï frissonne: Elle a vu Abram trancher les animaux...

            Qui peut désirer trancher une alliance avec eux ?

           

Abram chasse de grands oiseaux qui voudraient leur part de cette viande étalée.

Saraï le voyant faire se dit:

 

Saraï            - Ces oiseaux de proie en voudraient-ils à nos richesses...? Comme des rois de Sodome ?

            Mais pourquoi fait-il soudain sombre ? Comme si le soleil déclinait...

            Pourquoi cet effroi qui nous saisit !

            Voici mon mari Abram, abattu d'un sommeil profond...comme mort sur le sol !

            Abram ! Abram ! Ne me laisse pas !

 

Au moment où ses lèvres brûlent de questions à poser, Abram est sans voix pour Saraï.

Elle se pose à son chevet et le veille.

Des heures passent, puis il marmonne: 

 

Abram            - ...Je vais connaître...connaître...ma semence va voyager hors de ce pays...et revenir.

 

Le cœur de Saraï bondit: Abram est vivant ! Elle murmure dans le silence de son être:

 

Saraï            - Serait-ce pour cela que son visage était tout à l'heure si changé ?

            Oh! Je voudrais tant ne pas me tromper...

            Si sa semence revenait, ne serait-elle pas pour moi, sa femme ?

            Je voudrais parler à son Seigneur et qu'il soit aussi le mien...

 

Une violente obsucrité terrase alors Saraï qui se couvre les yeux.

 

Saraï            - Aussi vrai  qu'Abram est mon mari, aussi vrai qu'il est vivant

            ...Aussi vrai est ce jour de vie...cette nuit de ma vie, jour de semence, nuit de semence.

            Adonaï ! Seigneur de moi ! Dis-moi quand je serai prête afin que j'espère !                  

                                                                                                                       

C'est alors qu'Abram et Saraï voient et frémissent: Il y a comme une torche de feu fumante...

Elle passe entre les morceaux des animaux partagés et file au delà de l'horizon.

Chaque fois deux morceaux et un feu. Abram pousse un immense soupir de joie.

Saraï lui prend la main, brûlante comme la sienne.

Il la regarde et ne dit rien.

 

Saraï            - Abram a tranché les animaux et voici qu'un feu les partage à son tour.

            Est-ce un Oui de lumière venu des cieux ?

            Si c'est un Oui à la semence d'Abram, mon corps en est le chemin...

 

Le cœur de Saraï se fait brûlant et elle manque défaillir.

Le destin des femmes la traverse, ce destin qui enfante et perd sans cesse son trésor.

Couteau de feu qui sépare en faisant naître.

 

Saraï            - Suis-je prête ?

            Non ! Je voudrais tous les garder, comme poule ses poussins.

            Oh ! Que dis-tu, Saraï ! Toi, la stérile, tu parles de poussins.

            Oui ! Je les vois monter comme étoiles piquées dans les cieux, je les vois scintiller

            aux yeux de tous les peuple.

 

 

Au matin, Saraï se lève tôt. Les évènement de la nuit éparpillés dans sa tête.

Casser du bois, allumer le feu, chauffer l'eau, servir Abram...les gestes suivent leur cours

Les nuits tranchent les jours et les jours tranchent les nuits.

Faut-il oublier les bonheurs ? Faire comme s'ils étaient des enfants qu'on laisse partir ?

Et les mois tranchent l'année.

 

Que se passe-t-il ? Saraï ne voit rien venir.

La nuit des animaux tranchés, la nuit de l'alliance, la nuit de l'espoir se fait nuit noire.

Un doute mortel la saisit, son être de femme se tend et se met à bouillir de puissante colère.

Un soir, elle crie aux étoiles:

 

Saraï            - Pourquoi ne comptes-tu pas les mois, comme nous, les femmes ?

 

C'est alors qu'Abram l'appelle:

 

            - Saraï ! Au lieu de compter les étoiles, où as-tu rangé ma tunique ?

            Et mes sandales ?

            Et le feu s'éteint !

            Saraï !

 

                                                                        J.O.  24 septembre 2012                                                                          

 

                                                                       

                                                
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10 août 2012 5 10 /08 /août /2012 12:59

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Ismaël

 

 

Peut-on parler pour tenter de dire aujourd'hui ce que nous ont transmis cent vingt générations d'êtres humains, par exemple dans la Bible, en Genèse 21 ?
Est-ce parler pour ne rien dire ? Qu'est-ce qui se dit dans ces textes ? Qui parle en les vivant au présent ? Ce travail sur Ismaël et sa famille, fait à plusieurs sur le texte hébreu cherche tout cela et au delà.

 

 

Ismaël se souvient.

 

 

Oui, c'est moi, Ismaël, fils d'Abraham et Agar.

Je ne sais qui me demande de retrouver quelques souvenirs.

Je l'accepte si c'est pour transformer le passé en présent

pour le vivre et l'offrir à qui le désire.

C'est difficile car les souvenirs sont douloureux et me collent à la peau

 

Vous y tenez vraiment ? Vous n'aurez que des morceaux:

nul ne se souvient de sa naissance et on efface ce qui fait trop mal.

Demandez plutôt à ma chère mère Agar.

 

Et puis... À quoi peuvent vous servir de tels souvenirs ?

Le passé n'est plus, même si chez nous, on le voit devant nous

et l'avenir derrière nous, puisqu'on ne le connaît pas.

On m'a dit que vous voyez le passé derrière ...et l'avenir devant.  Est-ce vrai !

Ici, on ne voit pas son avenir et on voit trop son passé, comme moi...

Et puis... Vous êtes forcément influencés par les récits qui ont couru.

Et puis...Qui vous dit que j'ai vraiment existé ?

Vous espérez peut-être retrouver ma tombe et mes os...?

Et si je n'ai pas existé, vous êtes vous demandé pourquoi ces récits parcourent les sables, les mers et les peuples de la terre ?

 

Là où je suis, j'ai une petite idée là dessus. Vous la voulez ?

 

Quand les humains veulent parler pour dire l'important.

Ils mettent leurs expériences en récits et les confient au vent du désert,

au feu des veillées, et à la mémoire des peuples.

Il ne reste que l'essentiel, ce qui vaut pour chacun à chaque instant de son jour.

Pour  prévenir de ce qui menace l'humain.

Chez nous, le désert ne retient que les paroles vraies.

Il les redit à qui écoute son silence.

 

Comment arrivez-vous à me tirer tous ces renseignements, à moi, le silencieux ?

C'est vrai ! Le seul son qui reste de moi est un rire !

Un rire ! Vous rendez-vous compte ? La seule trace de ma voix... Et à quatorze ans ! Vous comprendrez à votre heure. Si je le dis trop tôt, je tuerais le temps.

Avez-vous remarqué combien le temps est précieux pour préparer l'aujourd'hui ?

 

Excusez cette pause: quand on passe à la postérité grâce à d'anciens récits,

il est difficile de se remettre dans une peau... si on en trouve une !

Un signe que je l'ai peut-être trouvée, c'est l'émotion qui me saisit, même dans votre aujourd'hui. C'est pour cela que je parle au présent.

 

Voilà . Abram est mon père. Il est marié à Saraï dont ma mère Agar, est la servante.

Saraï est stérile; c'est pourquoi elle a l'idée de donner sa servante Agar à Abram pour se faire faire un enfant à travers elle. Je ne sais comment vous appelez cela dans votre jour. Je n'ai aucun souvenir de cette affaire: je ne suis pas encore né mais c'est ce qui traîne dans les veillées. L'enfant, c'est moi, Ismaël C'est le nom qu'Abram crie lorsque j'arrive.

 

Aussi loin que je me souvienne, il y a autant de douleur que de lumière.

Surtout lorsque je passe près d'un puits entre Quadesh et Bered.

Oh ce puits ! Ma mère Agar me montre souvent l'œil d'eau qui tremble tout au fond, couleur des cieux.

Nous, on dit toujours "les cieux". Et vous ?

Chaque fois le cœur me serre et j'en demande la raison à ma mère...

Ses yeux d'égyptienne me regardent et pleurent mais sa bouche sourit .

Je reste sur une jambe et ne comprends pas: comment pleurer et sourire ensemble ?

Les yeux de ma mère pourtant si sombres deviennent couleur d'oiseaux des cieux

Sa bouche s'ouvre comme pour un cri mais je n'entends rien.

 

Ismaêl   - Pourquoi je n'entends rien quand tu cries ?

Agar       - Ne te soucie pas, fils. Quand c'est l'heure, on entend.

                     Et puis ce cri n'est pas pour toi.

Ismaël    - Il est pour qui ?

Agar        - Il est pour celui qui voit la misère.

Ismaël    - C'est qui ?

 

Ma mère Agar met la main sur ses lèvres, elle me serre fort et m'embrasse.

Je passe un doigt sous un de ses yeux qui pleure encore, c'est salé comme une mer.

 

Agar       - Viens, fils. Il y a tant à faire !

 

Quand je suis triste au bord du désert, je tire mère Agar par la manche et lui demande:

 

Ismaël  - Mère ? Tu m'emmènes encore au puits qui regarde ?

              C'est tellement bon d'y aller avec toi: la joie et la peine se mettent en boule

              dans ma poitrine, puis ils éclatent ensemble comme un soleil.

Agar     - Fais attention, mon fils, tu es trop sensible.

 

Ses yeux brillent tellement que je ferme les miens. Quand je les rouvre, elle est partie travailler.

C'est quelqu'un ma mère ! C'est pourtant quelqu'un de rien du tout: une petite servante égyptienne.

C'est ce que lui fait toujours comprendre Saraï, la femme d'Abram.

Assis devant la tente, quand je regarde les chiens et les chats se poursuivre, j'entends parler ma mère et Sarai.

Ce n'est pas tendre. Je ne regarde pas car ma mère ne regarde pas Saraï et Saraï ne regarde pas ma mère.

Alors, je ne regarde pas non plus quand elles sont ensemble. Mon père Abram ne regarde pas non plus.

Il  n'aime pas les disputes. C'est un homme.

Mais alors... Pourquoi prend-t-il toujours le parti de Saraï ?

Je l'entends encore dire:

 

Abram  - Notre Dieu choisit Saraï.

 

Pourquoi ce Dieu ne choisit-il pas ma mère ?

Il me semble que souvent, c'est comme s'il ne choisissait pas les meilleurs.

Je vais mettre ça dans un coin de ma tête pour pouvoir le retrouver.

C'est vrai ! Même si Saraï est très belle, c'est Agar que j'aime: c'est ma mère.

Le soir, ou le matin, quand elle sort secouer les couvertures, je mets le soleil derrière sa tête dont les bords se mettent à briller.

Ça vous fait rire que je déplace ainsi le soleil ? Vous me croyez tout puissant ?

C'est facile: quand il y a le soleil et ma mère, je cours me mettre dans son ombre et je la vois briller.

 

Je ne vois plus quoi vous dire. Vous en savez assez pour le moment.

 

                                                           

                                                                       

Agar

 

 

Je me demande pourquoi je réponds à votre appel.
Qui va demander son avis à une servante? À une égyptienne ...
L'obéissance est mon lot et Sarah est plus belle que moi.
Ne prenez pas en mal ces paroles. Elles sont vraies.

Qui ne connaît mon histoire ? Voici ce que j'entends dire Saraï en ce jour là:

 

Saraï   - Voici, Abram ! Adonaï me retient d'enfanter
            Viens vers ma servante Agar, peut-être serai-je bâtie à partir d'elle.

 

Mon sang ne fait qu'un tour et je cherche le sens de ces paroles.
Dans le récit des origines, c'est la femme qui est bâtie à partir du côté de l'humain.
Ma maîtresse se trouve-t-elle "mal bâtie ?".

Je comprends un peu quand le maître me prend dans sa couche...
En quelques mois mon ventre s'arrondit.
Mais les yeux de ma maîtresse s'assombrissent:

 

Saraï    - Je perds le poids que prend Agar.
            Ne vois-tu pas que je la vois s'arrondir ?
Abram   - Fais lui ce qui est bien à tes yeux !

 

Ah ! Mes amis...Je ne sais comment vous traitez vos serviteurs.
Du soir au matin, les cieux me tombent sur la tête et Abram laisse faire.
Le désespoir me prend et je fuis au désert.

Connaissez-vous le désert ? Il est silence et parfois percé de puits.
J'aime me pencher sur ces puits, pour l'eau d'abord
et aussi pour les cieux qui vous regardent tout au fond.

Un jour, sur la route de Shour, un messager du dieu de mon maître m'interpelle:

 

Mess.   - D'où viens-tu ? Où vas-tu ?

 

Comme si un dieu ne savait pas ! C'est pour me regarder et me faire parler.

 

Mess.   -  Retourne chez Abram! Je te vois déjà avec ton fils: tu crieras son nom: Ismaël: "Dieu   écoute" Il sera multitude...

 

Alors... Que faire ? Que fait une femme ? Elle crie !
Alors j'e crie...Je crie au dieu...je crie au puits, à celui qui me regarde au fond des puits.
Je le vois, il me voit, je vis enfin, il est un dieu vivant et Ismaël danse dans mon ventre.
C'est entre Quadesh et Bered, entre la sainteté et la grêle.
Fermez les yeux en parlant de cela et faites silence.

Que faire ? Je rentre et Abram crie le nom de mon fils: "Dieu entend": Ismaël.
et Saraï ? Elle s'y fait, je m'y fais. On ne regarde pas nos yeux.

Et les années passent... Comment font elles ? Qui les pousse ainsi ?

Et voilà qu'un jour je vois avec étonnement s'arrondir le ventre de Sarah et je me dis:

 

Agar            - Chacune son tour !

 

Puis, jour après jour, on arrive à la naissance d'Isaac, et à la fête de son sevrage. Ismaël a treize ans. Vous savez comment ils sont à cet âge ?
C'est là que notre vie bascule... pendant la fête !

 

 

 

Sarah au petit matin.

 

 

C'est moi, Sarah. J'aurais voulu parler avant ma servante Agar.
Elle m'est une fois de plus passée devant. Surtout, ne soyez pas complices de cette femme !

Voilà ce que je veux vous dire, comme ça me vient

 

Par bonheur, il est des matins nouveaux qui défient le temps:

Hier n'est plus, ni même ses traces. Parfois je le crois.

Le jour, pointé par le coq, s'annonce et s'imprime déjà dans la mémoire.

Voilà où j'en suis ce matin: les départs d'Our, d'Haran, le balancement des voyages... Oubliés.

Abram me donnant comme sa sœur à Pharaon puis Abimeleck... Oubliés.

Agar que je donne à mon mari pour tenter de me bâtir moi même... Disparus.

Agar qui prend du poids et moi, Sarah qui perd mon autorité et la chasse ... Oublié.

Et la honteuse stérilité... Collée à mon être, comme je voudrais l'oublier !

Mais les traces en moi sont trop douloureuses, comme une mauvaise habitude.
Pourquoi ne suffit-il pas qu'Isaac soit né pour être pleinement heureuse ?

Seraient-ce les souvenirs revenus, plus collants que mouches d'orages ?

Parfois je me dis:

 

Sarah   - Cet enfant m'enlève ma stérilité, mais que vais-je devenir ?

            Puis-je vivre sans cette honte qui faisait partie de moi?

            Stérilité maudite, quand me lâcheras-tu ?

 

En ce petit matin nouveau, me revient le souvenir de la visite des trois hommes aux chènes de Mamré.

Tous les souvenirs ne sont pas mauvais...

Et cette voix en direction d'Abraham. Une voix qui m'atteint à l'ouverture de notre tente:

 

Voix...    - Où est Sarah, ta femme ?

Je reviens, oui, je reviens vers toi en un temps de vie.

              Un enfant pour Sarah, ta femme...

 

Et soudain, ce rire au plus profond du cœur, qui s'échappe comme d'une prison sans âge.

Et ce parler sourd qui me dit sans le dire:

 

Sarah    - Trop vieille pour être sauvée ! Tout les regards sur moi vont rire !

              Le plaisir à mon âge ! N'y a-t-il pas de quoi rire !

Et leur rire à tous... saurai-je le saisir pour ne pas pleurer ? Leur rire de malheur.

             

Et la voix de nouveau vers Abraham:

 

Voix...     - Comment cela ? Pourquoi Sarah a ri ? La vieillesse serait-t-elle fin du bonheur ?

           

Et la réponse qui m'échappe:

 

Sarah      - Non je n'ai pas ri !

 

Je ments car je n'ose dire ma crainte du rire des autres et ma si grande misère.

 

Et cette voix de  nouveau qui insiste et qui s'adresse à moi, Sarah, pour la première fois:

 

Voix...        - Non ! Parce que tu as ri !

 

Alors, aujourd'hui, en ce matin frais qui défie le temps, Je comprends pourquoi j'ai ri

et surtout ce qu'a fait mon rire:

Il a éclaté en moi et, au lieu de se retourner en dérision, il a éclaté !

Dieu m'a montré que le rire pouvait ainsi éclater vers une sortie, briser ce qui est clos.

Ouvrir vers la lumière ce qui est enfermé. Mais il faut le vouloir. Est-ce que je le veux ?

 

Voix....       - Si ! Car tu as ri !

 

Avec mon propre rire, guidée par la voix d'Adonaï, je débouche, je délivre de mon corps ma force de vie, de joie, d'enfantement. La grande jarre que je suis se fissure et laisse échapper le rire.

La crainte des autres me paralysait, le frémissement de Dieu ouvre mon être.

 

Mais ne croyez pas que ce soit facile et rapide ! Si pour Adonaï, mille ans c'est comme un jour,  
pour moi, le temps doit s'écouler... durer.

Il me faut des semaines pour faire place à Isaac et voir se fermer le chemin de la honte.

 

En ce matin nouveau qui défie le temps, Je découvre qu'Adonaï me visite comme il  dit.

et qu'il agit comme il parle: Isaac est arrivé !

 

Sarah        - Dieu me fait un rire !

 

Isaac, qui a rire  pour nom ... a fait sa place.

Et j'entends Abraham crier ce nom: "Isaac ! " Car il accomplit le rire: c'est son rôle.

 

Toute aux délices de bercer l'enfant de la promesse je ne sens pas passer les jours.

De mes seins raffermis coule le lait pour Isaac.

Je ne pleure plus et lui, il crie, il pleure, il ouvre les yeux.

Isaac est le rire qui m'a traversée toute entière, qui s'est échappé.

 

Les jours passent comme un seul et soudain voilà qu'Isaac refuse le sein et le lait s'arrête.

Serait-ce la vieillesse qui revient ? Je me dis:

 

Sarah        - Comment ? Qu'ai-je encore fait de mal ?

Abraham   - Rien de mal, Sarah ! Isaac n'est pas ta possession. Il a sa route qui n'est pas la tienne.

Sarah        - Pourquoi me l'enlever déjà ? Si petit, qui me regarde et marche à peine.

                    Pourquoi faut-il quitter sans cesse ?

Abrah         - Tu as dejà quitté Our, Aran, ta stérilité, et ton gros ventre...

                     Vois Isaac il ne marche pas: il court !

                     Ne crains pas de quitter cette bouche gourmande

Sarah         - C'est bien d'un homme, de parler comme tu le fais ! Tu ne connais pas la vie !

                      C'est pour ton vieil âge que j'enfante.

Abrah          - C'est bien d'une femme de pleurer ainsi ! Arrête ! Tu verras pire !

                     Prépare plutôt la fête. Le grand festin, car un enfant nous est né

                     De peine et de joie mêlées.

 

Et c'est la grande fête.

C'est alors que se produit un petit évènement, inattendu, comme toutes les œuvres de Dieu.

Brisure nouvelle pour ceux qui pensent que les morceaux ne sont pas cassé, quand on croit la paix installée sur de vieilles douleurs.

Vous allez comprendre... peut-être !

 

 

 

La fête. Abraham, Sarah et Isaac, Agar et Ismaël

 

 

 

Maintenant que vous avez entendu Ismaël, Agar et Sarah, il faut bien que je vous dise quelque chose , puisque je suis Abraham, le chef de la famille.
Je n'aime pas trop me mettre en avant, alors je vous raconte les évènements:


Sarah ne peut être aussi belle qu'en ce jour de banquet qui réunit la famille.
Je la vois glisser comme reine entre les fumées qui montent des feux où grillent les viandes.

Isaac marche devant elle, car il a abandonné le lait de sa mère.
Il sourit aux oiseaux des cieux, aux visages, aux exclamations.
Il va sur ses trois ans. Un sourire radieux ne le quitte pas.

Je l'accompagne, cœur battant de voir réalisée la promesse.
Cris et yous yous du fond des âges les précèdent et les suivent.

On voudrait tout retenir de ces instants d'émotion intense, mais ils ne valent que vivants.
Ce serait contraire à l'esprit de la fête, ouverte, généreuse de sa joie violente et profonde.

Je vois Agar, empressée de répondre aux désirs de sa maîtresse: elle veille à ce que rien ne manque.
Elle n'oublie sans doute pas les jours où elle a dû fuir devant la colère de Sarah qui ne supportait pas de la voir enceinte d'Ismaël. Aujourd'hui c'est fête et elle laisse aller sa joie.
Elle m'a raconté qu'elle essaie souvent de prier le dieu d'Abraham, comme elle dit: Celui qu'elle a vu et qui l'a vue au fond des puits entre Kadesh et Bered. Mais elle n'arrive pas à formuler sa demande.
Que peut demander une petite servante ? Ne rien attendre est son lot,
et sait-elle ce qu'est l'espérance? J'aime la simplicité d'Agar !

Que se passe-t-il soudain ?
Un instant, un frémissement saisit Agar, peut-être celui ressenti quand tout paraît trop beau ?

Je la vois se reprendre et s'approcher d'Ismaël , il est aussi grand qu'elle !
Ismaêl regarde sa mère. Sarah les observe de loin et mon regard passe de l'un à l'autre pour s'assurer de la paix.

C'est alors que tout arrive:

Isaac court vers Sarah, qui lève les yeux et croise ceux d'Agar.
Moi, Abraham, en les voyant, j'ouvre la bouche pour parler...
Ismaël tout joyeux entre dans ces regards croisés et ...
Soudain, lui qui ne dit jamais rien, éclate de rire en posant son regard sur Isaac.

Un lourd silence saisit l'assemblée.

 

Sarah       - Abraham, mon mari ! As-tu vu ce rire d'Ismaël ?
Abraham  - Oui ! mon fils est joyeux, comme tout le monde ! Tu ne l'a pas entendu ? Tu n'as fait que             le voir ?

 

Les yeux de Sarah se plissent et noircissent, son cœur doit battre violemment.
Est-elle retournée dans les peines et malheurs de son passé ?
Elle pense certainement que ce garçon, fils de sa servante, ne peut que se moquer  pour l'humilier.  Moi, son mari, je la connais ! Depuis le temps !
Mais, c'est vrai... Pourquoi ce rire ? 

Je la vois presque penser en elle même:

 

Sarah      -Ma stérilité passée, ma honte, oiseau de malheur, est devenue celle d'enfanter à mon   âge.
                 Le regard bienveillant des autres n'a pas encore éteint mon propre regard sur moi-même.

                 La honte accumulée me reste attachée comme un vieux vêtement...

 

L'assemblée, restée interdite un instant reprend son bavardage amical.
Mais quand le mauvais œil est en Sarah, il guette toute occasion de malheur, je la connais !
Elle doit se dire:

 

Sarah        - Voilà que garçon Ismaël, fils de ma maudite servante devient un homme.
                    Il est fils d'Abraham ! Voilà le malheur en vue !  Je dois protéger mon Isaac !
                    Comme les animaux leurs petits. Ismaël est l'aîné et il hériterait avec mon fils ?

 

Elle se dresse de toute sa beauté, s'avance vers moi qui déguste mon mouton grillé
et reste là, avec un air interrogateur.

 

Abrahm         - Qu'as-tu, belle Sarah ! Goûte ce mouton, goûte cette belle fête, fête notre fils !
Sarah         - Tu ne vois rien ? Mon mari ?
Abraham    - Si ! Je vois la joie qui fait briller les yeux. Pourquoi les tiens sont-ils si noirs ?
                     Tu n'aimes pas le grillé ?
Sarah         - Alors, tu ne vois rien ? Tu oublies la promesse !
Abraham    - Elle est là, devant nous, la promesse: regarde Isaac qui court partout.
Sarah         - Et que deviendra la promesse quand ton aîné, Ismaël, héritera ?
Abraham    - Que dis-tu, ma femme ?
                     Ismaël est aussi mon fils et je l'aime. Que vient faire la promesse ici ?
Sarah         - Je ne veux pas que le fils de cette servante hérite avec mon fils. Je ne veux pas !
Abraham    - Tu me contraries, Sarah ! Tu me fais très mal !
                     Et qui te dit que Dieu choisit les meilleurs ?
                     Je ne veux pas t'entendre parler ainsi, je n'ai plus faim et me retire.

 

Et là, je lance avec rage mon morceau de mouton à un chien qui passe.                       
Puis je reste  immobile devant le choc des paroles de Sarah.
Moi qui ai vaincu des rois et parcouru des déserts, je suis en échec devant cette femme !
Lentement, tête basse, je me retire sous ma tente en abandonnant les invités.
Je ne veux pas les entendre dire:

 

...            - Vous avez vu le père Abraham !
               - Et Sarah ! On ne l'a jamais vue ainsi.

Et maintenant, c'est la voix d'Agar que j'entends:

Agar         - Que dites-vous entre vous ?

 

Personne ne va écouter une servante qui ose parler.  Elle doit baisser la tête. Tout son être doit frémir.
Elle s'approche d'Ismaël qui joue avec d'autres garçons et l'entraîne à l'écart, juste derrière notre tente. Je les entends et le cœur me serre:

 

Agar         - Pourquoi as-tu ri ainsi, mon fils ?
Ismaël      - Qu'ai-je fait de mal, ma mère ?
                   C'est vrai...Pourquoi tous se sont tus quand j'ai ri ? Une crainte m'a saisi.
Agar         - Dis-moi pourquoi, Ismaël ! Que caches-tu ?
Ismaël      - Je ne cache rien ! Mais... en voyant courir le petit Isaac, je me suis dit...
Agar         - Qu'est-ce que tu t'es dit ?
Ismaël      - Je me suis dit... aide moi, mère à le redire...
Agar         - Tu sais bien que je t'aime, tu peux tout dire.
Ismaël      - On m'a dit que Sara riait dans sa tente quand les trois visiteurs sont passés.
                   Ne puis-je rire aussi ? Ne dit-on pas "Chacun son tour !"
Agar          - C'est vrai, mon fils, mais je me demande pourquoi ton rire a brisé la fête.
                    Qu'est-ce qu'ils ont pu penser ?
Ismaël       - Un rire n'est pas fait que pour briser ! J'étais dans la joie et je n'ai rien dit d'autre.
Agar          - Dans une fête, chacun devine ce qu'il veut. Sarah était dans la colère, je l'ai vue parler à Abraham.

                    Il a baissé la tête !
                   Que se passe-t-il ? Je sens le passé qui se brise pour nous.           


La famille et les invités se dispersent.
Chacun parle bas à son ami et fort à son voisin.

Et moi, sous ma tente je suis terrassé et ne comprend pas: la vie pourrait être si simple !
J'aime Sarah autant que je crains ses réactions.
Une femme ne pourrait-elle penser comme un homme ? Pour une fois...                                 
Je tombe dans un profond sommeil et voici mon rêve:


Dieu            - Abraham ! Réveille-toi !
Abraham     - Qui es-tu ? Je me repose pour perdre mes soucis.
Dieu            - Tu sais qui Je suis !
Abraham     - Encore toi, Seigneur !
Dieu            - Ne te frotte pas les yeux ainsi, à craindre pour le jeune homme et ta servante.
                      Obéis à la voix de Sarah.
Abrah          - Chez nous, un homme n'obéit jamais à une femme.
Dieu            - Sarah n'est pas "une" femme: c'est la tienne.
                      Et tu crois que je ne parle pas aux femmes ? Tu ne me connais pas.
                     Isaac sera proclamé comme venant de ta semence.
                     Ismaël sera proclamé en nation. Lui aussi est ta semence.
                     Va !

 

Sur le soir, je sors de la tente, les traits de mon visage sont tombés.
Je vois Ismaël qui traîne, le nez au vent et l'appelle.

 

Abraham      - Viens me voir, Ismaël, mon fils !
Ismaël          - Me voici, père !
Abraham      - Pourquoi as-tu ri ainsi, mon fils ? Personne n'a compris.
Ismaël          - Je me suis dit en voyant Isaac... Toi ! Tu ne me rattraperas jamais, c'est moi l'aîné.
Abraham      - C'est pour cela que tu as ri ? Tu sais bien que nul ne court après le temps.
Ismaël          - J'en ai vu le faire: sur des dromadaires pour aller plus vite
Abraham      - Tu plaisantes, fils, et moi je ne sais que faire avec tout cela.
Ismaël          - Demande que faire à Dieu, il doit le savoir.
Abraham      - Il le sait et il me l'a dit.
Ismaël          - Et alors ?
Abraham      - Tu vas, comme moi, quitter ta terre, ton enfantement, la maison de ton père...
                        Et tu feras une gande nation. Il me l'a dit.           
Ismaël         - Mais tu avais une femme et des dromadaires. Moi, je n'ai que ma mère !
Abraham     - Ne crains pas, si tu restes droit, Dieu sera avec toi.
                       Va ! Mon fils. Je prépare ce qu'il vous faut.           
Ismaël         - Mais tu pleures, père ! Je n'ai jamais vu pleurer un homme.
Abraham     - Nous, on pleure en dedans, c'est pire.                                                                                   
                     Si tu vois des larmes, je rentre sous ma tente.
                    Tu vois, fils... aujourd'hui, nous serons passés du rire aux larmes.
                    Va !           

 

Je n'arrive pas à vous raconter la suite.
Les heures se suivent et quelques jours passent.

Et c'est un matin nouveau, je me lève, moi, Abraham, comme si son âme était morte dans sa main et je les appelle:

Abraham    -
Agar et Ismaël ! Venez près de moi...
Agar           - Pour qui est ce pain et cette gourde d'eau ?
Abraham    -Agar, Je les pose sur tes épaules .
Ismaël        - Père ! Dis moi quelque chose...

 

Alors, debout, face au soleil levant, je revois le jour où Dieu m'envoya vers moi-même
Je crie tout bas:

Abraham     - Seigneur ? Le jour où tu m'as dit " Va vers toi "...
                      Avais-tu mal comme moi ce matin ?
Dieu            - Pourquoi rester accrochés à ceux qu'on aime ?
Abraham     - Pourquoi réponds-tu à côté ? Avais-tu mal ?
Dieu            - Je réponds toujours à côté et ma douleur, vous la verrez à son jour.

 

C'est alors que je me tourne vers Agar et Ismaël et leur dit

Abraham     - Allez ! Je vous envoie.                                               

           

 

L'outre se vide de son eau

 

 

C'est encore moi, Agar, cette fois je vous quitte pour de bon.
femme égyptienne, je vais. J'erre et me perds dans le désert de Beer Sheva.
Je sens le jeune Ismaël redevenu comme un petit enfant dans ma main.
À mon épaule, l'outre n'est que colère renfermée.

Agar     - Qui a dit que le désert était parole ?
               L'eau se vide entre nos lèvres comme la colère qui nous reste.
              Comment la colère peut-elle encore nous désaltérer ?
              Fils ! Nous allons mourir de vilaine mort. Je te vois redevenu mon bébé.
Ismaël  - Non, Mère ! Ne me garde pas près de toi ! Je veux vivre.
              Crie vers celui qui t'a déjà vue, celui qui parle au désert.
Agar     - Je ne peux crier. Je ne veux pas voir ta mort.
Ismaël  - Ne regarde pas, cache moi sous un des buissons, là bas.

Et, moi, petite servante égyptienne je me pose sur une pierre, sous le ciel blanc.
Je tourne la tête et ne veux pas voir la mort d'Ismaël sous son buisson.
Le pain est terminé, l'outre est vide, le sable boit sa dernère goutte de colère.

Agar      - Je deviens légère, le vent du désert va disperser nos os: je ne les sens déjà plus.
Ismaël   - Crie, Mère ! Crie ! Même avant la mort, on a toujours un cri.
               Éloigne toi encore plus de moi pour ne pas m'entendre gémir.
               Même au bout du désert, tu es toujours ma mère. Crie !

 

Le sable, le soleil, un buisson, une mère et son fils, tout est immobile et silence.
Un vent léger nous effleure.
Ma voix s'élève un instant puis retombe comme oiseau sans ailes.

 

Messager- J'ai entendu l'enfant depuis les cieux. Je l'ai entendu sous le buisson.
Agar        - Pourquoi as-tu tant tardé ? J'ai bu mes larmes et mes yeux sont clos et secs.
Messag - Il fallait que ta colère soit tarie: C'était l'eau dans ta gourde.
                 Moi,  je vois les pauvres et non les coléreux. j'ai entendu l'enfant.
Ismaël     - Je suis là, mère ! J'entends quelqu'un, comme le dit mon nom: Ismaël !
                  Le souffle du vent me ranime.

 

Et voici que je vois Ismaël, devenu jeune homme.
Il s'approche et de sa salive revenue nettoie mes yeux.

 

Ismaël     - Tu vois, mère ! Je peux encore servir.
                  Essaie maintenant d'ouvrir les yeux, il faut trouver de l'eau.
                  Messager ! Reste avec nous, sans toi nous mourrons... Et puis, tu peux me faire un arc ?
                 J'en aurai besoin pour chasser et nourrir ma mère.
Messager  - Je reste avec toi. Ne crains pas et cherche.

Je m'assieds, sur un rocher et vois soudain un puits dont l'eau déborde.
J'y plonge la gourde qui se remplit de vie. 

Agar          - Viens Ismaël, je t'emmène en Égypte.
Ismaël       - Quand je serai vraiment grand, tu me trouveras une femme de ton pays ?
Agar          - On verra.
Ismaël       - Je n'aime pas quand tu dis "on verra": je ne vois jamais.
Agar          - Tu as raison: C'est TOI qui verras cela plus tard.

                    Contente toi de vivre au présent tant qu'il est frais.

 

                                                                                                            J.O.  06.08.2012           

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 10:00

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Le récit qui suit a surgi après avoir travaillé le chapitre 37 de la Genèse:

Joseph, est le fils que Rachel, a enfin donné  à Jacob.

Jacob lui a offert une belle tunique rayée et Joseph a raconté ses rêves prédisant que tous se prosterneraient devant lui.

Les frères, issus des servantes ou des concubines sont jaloux de lui et complotent.

 

Un jour, Jacob, inquiet, demande  à Joseph d'aller voir ce que font ses frères.

Ils le voient arriver de loin et, prêts à tout, se saisissent de lui.

 

L'aube à rayures.

 

Jos.            - Pourquoi arrachez-vous mon aube à rayures ?

            Ne sommes nous pas frères en notre père Jacob?

           

Frèr.1            - Tu ne seras plus au dessus de nous.

Frèr.2            - Tu es comme les autres.

Frèr.3            - Plus rien ne te distinguera

           

Jos.            - Où m’emmenez-vous?

 

Frèr.1 - Là bas…

Frèr.2            - Tu n’en reviendras pas…

Frèr.3            - Nous ne te connaitrons plus.

 

Ils le ligotent et le traînent  vers la fosse.

 

Frèr.1.            - Sois heureux qu’il n’y ait point d’eau.

Frèr.2 - Tu pourras crier

Frèr.3            - Tu pourras rêver.

 

Jos.            - Pourquoi ?

 

Frèr.1            - On ne veut pas de préféré dans la famille.

Frèr.2            - Tu chanteras tes rêves aux étoiles.

Frèr.3            - On aura enfin la paix.

 

Jos.            - Pourquoi ?

 

Frèr.1            - Demande au jour

Frèr.2            - Demande à la nuit

Frèr.3            - Demande au silence.

           

Ils le jettent dans la fosse et s’éloignent pour prendre leur repas.

Joseph tombe au creux de la citerne.

Pendant la chute, des images défilent en un instant devant ses yeux.

Il voit ainsi passer son enfance, sa mère, son père, ses frères.

Sa tunique rayée, ses rêves. Sa vie de berger…

Lorsqu’il se penchait sur la margelle des puits,

Il aimait contempler dans le noir “l’œil d’eau” qui le regardait.

Ses grands parents parlaient souvent de ces “œil d’eau”.

Etait-ce la mort ? Était-ce la vie ? Il allait savoir…

Un choc violent et il perd conscience.

 

 

 ***

 

Joseph allonge les bras, tâte le sol. Il est étendu sur le dos, incapable de se déplacer.

Roche et sable humides autour de lui. Loin au dessus, l’ouverture de la citerne et le ciel.

 

Jos;            - Où suis-je ?

            Je ne vois rien.

            Si ! Une lumière ronde là haut ! un puits d’eau ?

            Pourquoi es-t-il à l’envers ?

            Œil d’eau ou  œil de ciel ?

            Le monde a  basculé.  Tout en moi est retourné.

           

Du bout des doigts et de la fraîcheur, il sent ses épaules nues.

 

Jos.            - Ma tunique rayée !

            Alors…mes rêves n’étaient que dans ma tête.

            Où sont les frères…?

            Ils vont venir…

            Non !! C’est vrai… Je me souviens…

             Ils m’ont jeté ici… Est-ce possible ?

            Père va venir. Non ! Je le sais.

            Pourtant, comme dit mon nom, j’ai été ajouté au monde des vivants.

            Serais-je  maintenant retranché ?

            Est-ce la mort ?

            C’est froid.

            Il y aurait un œil de ciel au dessus des morts ?

 

Joseph ferme les yeux et perd conscience.

Des hommes de Madian surviennent, d’une caravane, à la recherche d’eau.

Ils se penchent et crient:

           

Mad.1            - Il n’y a pas d’eau

Mad.2            - Mais il y a un homme

Mad.3            - Remontez le !

Mad.1            - S’il est vivant, c’est que les dieux sont avec nous !

            On le vendra aux Egyptiens qui passent là bas.

 

Joseph encore inconscient respire. Il est vendu au chef caravanier sans même le savoir.

Le long balancement d’un chameau le berce sur le sable sans fin.

Les hommes se réjouissent en disant:

 

Mad.1            - Nous le vendrons en passant devant la cour de Pharaon !

Mad.2            - Il paraît vigoureux, il fera un bon prix !

           

Joseph au fil des jours, reprend des forces et son esprit vif s’habitue à la langue des caravaniers. Elle ressemble à la sienne. Il les questionne mais personne ne répond.

Il découvre alors qu’un esclave n’a pas besoin de parler car personne ne l’écoute.

Il ne peut que murmurer:

 

Jos.            - Toi qui existe, du fond des puits au plus lointain du ciel…

            Écoute moi ! Je ne suis que le fils de Jacob

            Si la Promesse faite me concerne,

            Que ce chameau soit comme ta main et me conduise où tu le désires.

 

 

Putiphar

 

Le marché aux esclaves. Au loin, le palais de Pharaon.

La poussière des soldats qui passent. Des cris, des enchères.

Des hommes dont on a huilé la peau pour qu’ils se vendent mieux.

Un homme descend du palais pour acheter un esclave.

Son regard se pose sur Joseph. Leurs yeux se croisent puis se fixent.

 

Put.            - Je suis Putiphar, homme de confiance de Pharaon. Je t’achète.

Jos.            - Je suis Joseph, fils de Jacob et Rachel.

 

Jamais un esclave n’a osé se présenter ainsi.

Putiphar surpris, ferme un instant les yeux

Qui est ce jeune homme ?

Oubliant le fouet qu’il est prêt à faire donner pour cet affront,

Il regarde l’homme, hésite, referme à nouveau les yeux.

 

Qu’écoute-t-il en lui ? Nul ne le sait, mais il se décide soudain:

Des paumes de mains se frappent, des pièces tintent.

Les deux hommes, l’un suivant l’autre, marchent vers le palais de Pharaon.

Le premier dit au second sans se retourner:

           

Put.            - Tu seras attaché à ma maison.

 

Le soleil semble s’attarder sur la place. Il est midi.

 

Les jours suivants, Joseph se met au travail, comme on le lui dit, comme il sait le faire.

Matin et soir, il se tourne vers le nord, vers le pays de ses ancêtres.

Il se confie à celui qu’on ne peut nommer, sinon Adonaï, le dieu de ses pères

Le dieu et l’esclave s’écoutent mutuellement dans les soir et les matins d’Egypte.

Que se disent-ils ?  Nul ne le sait.

 

Les mois suivants, Putiphar ne comprend pas.

Qui est cet esclave ? Pourquoi ne se plaint-il jamais ?

Pourquoi devine-t-il les ordres avant même qu’ils ne soient donnés?

Parfois leurs regards se croisent et c’est Putiphar qui baisse les yeux.

Il rougit quand il s’en aperçoit. Son pouvoir serait-il atteint ?

Chaque fois qu’il lève le bras pour sévir devant cet affront, sa main fléchit,

Il soupire et se retire au cœur de sa maison.

Un jour sa femme lui dit:

 

F.            - Qu’as-tu, Putiphar, tu n’es plus le même ?

Put.            - Je ne sais, femme,  quelque chose a changé.

F.            - Serait-ce Joseph, le nouvel esclave que tu as acheté ?

Put.            - Pourquoi Joseph ? Ne m’irrite pas !

F.            - Moi… je vois comment tu le regardes.

 

Putiphar se dresse et s’exclame:

 

Put.            - Serais-tu jalouse ?

 

La femme sourit, s’incline devant son seigneur et se retire en disant:

 

F.            - Il est très beau !

 

Le chef des gardes, troublé, reste seul au cœur de sa maison.

Que lui arrive-t-il ?

Il reste silencieux les jours suivants et Pharaon lui-même demande:

 

Phar.            - Qu’as-tu Putiphar ?

Put.            - C’est le vent du nord qui est revenu.

Phar.            - Le nord ne nous apporte que du malheur, tu le sais.

Put.            - C’est pour cela que je ne suis pas bien.

Phar.            - Cherche, Putiphar, ne reste pas ainsi, ce n’est pas bon.

Put.            - Tu me dis de chercher et moi je sens que c’est quelque chose qui me cherche.

Phar.            - Remets-toi, Putiphar !  N’oublie pas que ton nom veut dire:

            “Ce que le soleil a donné”.

            Cherche ce que le soleil  t’a donné au lieu de faire grise mine.

 

Putiphar se retire au cœur de sa maison.

 

 

***

 

 

Cest la nuit. Putiphar est seul et désemparé.

Son travail lui pèse soudain. Il est chef de la garde et devrait en être fier,

Mais des jaloux l’ont traité d’eunuque.

La coutume donne parfois ce titre au chef de la garde car il doit tout à son maître.

Il n’est pas eunuque, mais le service de Pharaon occupe tout son temps.

Sa femme lui en a fait reproche et s’est trouvée délaissée. 

La nuit est sombre, et elle n’est pas rentrée.

 

Il tente de prier les dieux de l’Egypte, mais la proximité des prêtres le fait douter.

Leurs paroles et leurs rites ne correspondent pas à leur vie.

Sa seule joie actuelle est la présence et l’activité de Joseph à la maison.

Quelle est la force qui anime Joseph ?

Pourquoi sa femme en prend-elle ombrage ?   

Putiphar soutient de la main sa tête enfiévrée.

Une chaleur douce le saisit et une voix lui parle au cœur:

 

Adon.            -Ne crains pas, Putiphar !

            Ce que tu vois de Joseph est juste.

Put.            - Qui es-tu ? Ta voix ne passe ni par tête ni par oreilles

Adon.            - Je suis. C’est tout

Put.            - Que veux-tu ?

Adon.            - Ton bonheur et celui de ta maison.

Put.            - Que faire…?

            Il y a ma femme… Il y a Pharaon…

Adon.            - Confie ta maison à Joseph.

            Il n’arrivera rien à ta femme.

            Même si tu es surpris. Écoute la.

            Tu n’es pas un eunuque…

            Bonsoir, Putiphar !

Put.            - Attend, Seigneur ! Je veux savoir…

 

Seul le silence répond.

Le chef des gardes s’endort et quand il tend le bras au matin, sa femme n'est pas là.            

 

 

La femme de Putiphar

 

Les jours suivants Putiphar continue à observer Joseph et ce qu’il voit conforte le message qu’il a reçu lorsque la nuit était si douce.

Chaque jour, il lui confie de nouvelles charges et s’en trouve allégé d’autant.

Bientôt il n’a plus qu’à se mettre à table en arrivant.

Par contre, Sa femme parle peu et il se demande ce qu’elle pense.

Un soir, il saisit l’instant  et il lui dit:

           

Put.            - Femme ?

F.            - Oui, Seigneur…

Put.            - Tu vas bien ?

F.            - Comme tu vois…

Put.            - J’ai l’impression que tu me prépares une surprise…

             Dis-moi, où étais-tu, l’autre nuit ?

F.            - Sur la terrasse du palais, il faisait trop chaud.

Put.            - Femme,  tu n’as rien entendu, dans ton cœur ?

F.            - Parce que tu as entendu quelque chose, toi, mon Seigneur ?

Put.            - Oui.

F.            - Tu peux me dire ?

Put.            - Ce n’étaient pas des paroles, je ne peux rien dire.

F.            - Moi non plus, mon Seigneur.

 

 

Que s’est-il passé sur la terrasse du palais quand la femme prenait le frais ?

La situation actuelle de sa maison la trouble profondément.

L’intrusion de cet hébreu acheté par son mari bouleverse son univers.

Comme elle le fait lorsque son intelligence ne lui apporte pas de solution,

Elle se parle à elle même en un étrange dialogue:

           

F1            - Dis moi…toi qui es femme en moi, que puis-je faire ?

F2            - Que dit ton cœur de femme ?

F1            - Je ne sais plus. Mon mari qui était à Pharaon… est maintenant à Joseph.

            Je n’ai plus de place à la maison.

F2            - Est-ce Joseph qui te trouble?

F1            - Non…Oui, il est jeune et beau. Si Putiphar avait été ainsi…!

F2            - Tu sais pourtant qu’en Egypte l’homme et sa femme sont très liés.

            On les représente souvent ensemble.

F1            - Je ne comprends pas ce qui m’arrive:

             je me prends à aimer Putiphar et Joseph à la fois.

            Comme si je voulais qu’ils ne fassent qu’un…

F2            - Tu voudrais que Putiphar te regarde comme te regarde Joseph ?

F1            - Oui, je crois.

 

La femme frissonne. Elle souhaiterait parfois que ses sentiments soient moins embrouillés.

Mais elle ne serait plus femme. Et elle aime par dessus tout être femme. Elle aime par dessus tout être si différente des hommes. Cette différence engendre une vie bouillonnante.

Elle remonte son vêtement sur ses épaules, se redresse face au ciel et face à l’Égypte …

De nouveau elle se parle à elle même:

           

F1            - Tu ne dis plus rien, mon amie en moi…?

F2            - Une idée  folle m’a saisie…la devines-tu ?

F1            - Mais oui, je l’ai saisie…Je l’aime et la crains à la fois…comme un jeu avec le feu…

F2            - Je n’ose la dire…

F1            - Elle doit rester secrète…

F2            - Que même les siècles ne la devinent pas.

F1            - Ta réputation va en pâtir…

F2            - Tu as déjà vu la réputation cacher du bonheur ?

F1            - Alors ? On y va, mon amie ?

F2            - On y va.

 

 

***

 

Joseph ne comprend pas la bienveillance de Putiphar.

D’un côté il est heureux de la situation enviable qui lui est ainsi faite,

Il est désormais le chef de la maison.

La tranquilité des jours et sa jeunesse lui rappellent les rêves racontés à ses frères

Lorsqu’il était une gerbe devant laquelle tous se prosternaient.

Le rêve deviendrait-il réalité ?

 

D’un autre côté il se demande ce que lui prépare l’avenir.

Il a déjà vécu la position de préféré chez son père

Et en a cruellement payé le prix.

Il revoit soudain en pensée sa tunique à rayures arrachée par ses frères.

Il pense tout haut et dit:

           

            - Je ne vois pas aujourd’hui ce qui pourrait m’être arraché…

 

Le vase précieux qu’il transportait lui échappe soudain et se brise.

Personne ne l’a vu…il est seul à la maison.

Il se penche pour ramasser les débris et les jeter.

Lorsqu’il se relève, il sent une présence, un parfum…et n’ose redresser la tête.

Le bruit du vase brisé a couvert le discret glissement d’une robe sur le sol.

A l’instant où sa tête se relève, ses yeux se fixent sur le vêtement d’une femme,

Là où elles savent si bien dévoiler l’échancrure entre les seins.

 

F.            - Tu couches avec moi ? nous sommes seuls…

 

Joseph reste muet de saisissement.

Alors, c’est celà, être homme ? C’est cela, être femme ?

Si soudain dans sa venue ?

 

Jos.            - Je ne peux, maîtresse, je suis trop jeune…

F.            - Tu veux rire ? Tu es un homme, et un vrai.

Jos.            - Merci, maîtresse…laissez moi reprendre mes esprits…

F.            - Je ne crois pas que tu les aies perdus.

Jos.            - Laissez-moi ramasser les débris du vase…

F.            - Tes esprits étaient dedans ?

Jos.            - Maîtresse, vous sentez bon, ou bien était-ce un vase de parfum ?

F.            - A toi de le découvrir…

            Pour cette fois, je te laisse avec ce parfum.

            Bonsoir.

 

La robe soyeuse glisse sur le sol et la femme de Putiphar disparaît dans ses appartements.

 

Joseph s’assied, une sueur inconnue coule de son front, une sueur qui ne vient pas de la peine.

De nouveau  cette impression de tomber dans une citerne sans fond.

Il se retire dans sa chambre, s’endort profondément et rêve:

 

Adon            - Tu es là, Joseph ?

Jos.            - Parle, Seigneur, j’écoute.

Adon            - Que penses-tu de cette femme ?

Jos.            - Son parfum me poursuit et m’empêche de penser.

Adon            - Demain, tes serviteurs passeront la cire et tu seras libéré.

Jos.            - Il n’y a pas que le parfum, Seigneur.

            Si c’est toi qui a créé la femme, tu le sais.

Adon            - Je le vois !

Jos.            - Alors tu vois ma détresse: si elle revient, je l’allonge et la couche.

Adon            - Tu crois ?

Jos.            - Tu me fais douter !

Adon            - C’est une partie de mon travail…Tu ne crois pas ?

Jos.            - Je ne sais plus. Toi, tu sais.

Adon            - Alors, dors Joseph !

 

Le lendemain et les jours suivants, Le femme et Joseph ne se rencontrent pas.

Il en est à la fois heureux et malheureux.

Le parfum ne l’entête plus et il découvre avec curiosité sa nouvelle condition d’homme.

Parfois il se dit:

 

            - Si elle tente encore de me séduire, aurai-je la force de dire avant de faire ?

 

La stature de Putiphar, son ombre majestueuse quand il vient à la maison lui font découvrir une crainte inhabituelle, encore inconnue de lui.

Le jeune homme à qui tout réussit se façonne jour après jour.

Puis la femme s’enhardit de nouveau et lorsqu’il la croise dans les couloirs

ne manque pas de lui glisser à l’oreille la phrase habituelle:

 

F.            - Couche avec moi !

 

Un soir, il se sent fort et lui répond avec vaillance:

 

Jos.            - Mon maître Putiphar m’a tout remis dans sa maison, sauf toi, car tu es sa femme.

            Ce serait un infamie de te répondre. Pour toi, pour moi et pour Dieu.

 

Il a dit cela très vite, comme une leçon apprise et la femme disparaît aussitôt avec un sourire

Un sourire qui l’étonne. Il se dit:

           

            - Pourquoi un tel détail me reste-t-il en mémoire ? Pourquoi ce sourire ?

 

Les jours suivants sont plus calmes.Il sent se raffermir sa volonté et son pouvoir sur la maison.

Putiphar le regarde toujours avec bienveillance, la femme le salue, les serviteurs l’écoutent.

Un matin, il se dit en lui même:

 

            - Je me demande ce qui me manque ?

            Serait-ce cela, le bonheur ?

 

                                                           

***

 

Les jours s’écoulent, le soleil d’Egypte échauffe les cœurs et le pays entier semble vivre une paix durable. Les fouets et les cris des maîtres d’esclaves se font moins bruyants.

Joseph, installé dans son état de privilégié les regarde distraitement.

Il est le maître après Putiphar, il est devenu un homme puisqu’il a suscité le désir d’une femme.

Il a de bonnes raisons de lui résister et se sent de plus en plus fort.

Un soir, les hommes de la maison sont sortis, Putiphar est au palais et Joseph passe de pièce en pièce pour voir si tout est en ordre.

Au moment où il rejoint sa chambre, la femme surgit et l’interpelle:

 

F.            - Joseph ! Tu sais ce que je ressens.

            Il fait chaud, il fait beau, nos cœurs battent ensemble.

            Viens dans ma chambre, j’ai tellement de choses à te montrer…

            Couche avec moi ! Je n’en peux plus d’attendre !

            Mon corps dit que tu me désires aussi.

 

Joseph est saisi, surpris au moment où il se croyait en paix.

Pourquoi cette femme insiste-t-elle ainsi ?

A-t-elle perçu, comme elle le dit, combien il la trouve désirable ?

Il se sent aussi fort que faible, aussi vulnérable que ferme dans sa décision de ne pas céder.

Cette femme est comme sa mère qui lui manque cruellement.

Il voudrait le lui expliquer.

Avec un air désespéré sur le visage, il tend un bras vers elle, tout en restant à distance

Un siècle paraît s’écouler en un instant:

Il tend le bras et son visage, elle répond en tendant un bras et son sourire…

Le temps va-t-il s’arrêter ?

 

F.            - Joseph ! Cette fois tu m’appartiens !

Jos.            - Femme… Éloigne-toi de moi ! Mais ne me quitte pas !

            Ne réveille pas l’homme avant son heure…

F.            - N’est-ce pas l’heure juste, Joseph !

           

La femme s’avance et profitant du bras tendu de Joseph, saisit fortement sa manche.

 

F.            - Tu vois que je te tiens ! Joseph… Tu vas ajouter à mon bonheur !

Jos.            - Ne me tiens pas ainsi, femme ! Pense à Putiphar !

F.            - C’est à lui que je pense ! Tu ne peux deviner combien…

 

D’un geste violent, la femme tire sur la manche et le vêtement de Joseph s’arrache.

De son regard de femme, elle voit le corps de l’homme, jeune, vigoureux, muscles saillants…

 

F.            - Oh ! Joseph ! Quel homme es-tu ?

            Je t’aime et te déteste…

           

Le temps s’arrête à nouveau, et cet instant s’imprime pour la vie dans la mémoire de chacun.

Joseph est pétrifié, paralysé, réduit à l’état de statue.

La femme ouvre la bouche et aucun son ne sort.

 

Soudain, les instants se remettent à couler, un à un.

Joseph se retourne et s’enfuit dehors.

C’est à peine s’il entend le premier cri de la femme, courbée de douleur:

 

F.            Va-t-en ! ne reviens plus !

            C’est moi qui te repousse !

            Comprendras-tu mon vrai désir ?

 

Puis elle se dresse et crie violemment:

 

F.            - A l’aide ! L’hébreu de Putiphar a voulu me séduire !

            Regardez ! je tiens son vêtement !

 

Épuisée, elle se jette à terre en attendant Putiphar.

Dans un murmure, elle dit encore:

 

F.            - Enfin j’ai pu éloigner cet hébreu de la maison

            Je vais retrouver mon cher Putiphar !

 

Joseph court sur la place et par les rues, un simple linge lui ceint les reins, comme un esclave.

 

Jos.            - Me voilà redevenu esclave !

            Pourquoi cette déchéance ?

            Une fois de plus mon vêtement est arraché !

            Pourquoi ?

           

Des gardes surviennent, le saisissent et l’entraînent vers la prison en disant:

           

Gar.            - Ton maître est revenu, Il a embrassé sa femme et te renvoie

            Heureux es-tu de ne pas en mourir.

            La prison t’attend.

            Tu n’es plus rien.

 

Comme lors de sa descente dans la citerne, il voit défiler sa vie devant ses yeux fermés.

 

Jos.            - Pourquoi ?

 

Un choc violent, il est au sol, sur le dos, dans l’obscurité.

 

Jos.            - Pourquoi n’y a-t-il pas ici l’œil de ciel au dessus de ma tête

            comme dans la citerne ?

 

Quand on lui met les chaînes, il  perd conscience.

 

           

                                                                           J. 05.06.012      sur Genèse 37, 18-28 et Genèse 39.                                    

 

 

 

La Genèse, au chapitre 4, décrit le premier meurtre fraternel: Caïn tue Abel

Elle se termine en Égypte par la réconciliation des frères ennemis.

Mais il faut attendre le chapitre 50. 

Joseph en sera l'artisan.

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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 22:40

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L'aventure des deux bergers Samuel et Corhavone avec Abraham se termine.

Chacun ira vers lui même, par son propre chemin.

Les jours passés avec cet homme sont maintenant tissés dans leur mémoire.

Ils ne sont plus seuls.  

 

5. Abraham et les bergers,          suite et fin.      

 

Les jours suivants, Abraham ne sort pas de sa tente: il est malade.

Les bergers passent et repassent dans leur esprit l’histoire de son départ.

Les mystères de la paume de la main, de l’oiseau, du présent, du futur.

Ils demandent des nouvelles en passant et se disent soudain:

 

S            - Que deviendrons-nous lorsqu’il partira pour le séjour des morts ?

C            - Cet homme, cette main et cet oiseau…

S            - Ne t’inquiète pas, Corhavone:

            On en parlera encore dans mille ans…

 

Samuel regarde sa sœur et approuve en hochant la tête.

Le lendemain soir, Abraham est là, sur son banc, plus vivant que jamais.

 

A            - Shalom les bergers…

S            - Shalom le voyageur

C            - Shalom notre ami.

A            Vous voulez continuer ? Cette petite maladie m’a stimulé.

            Où en étions-nous ?

C            - Tu nous parlais de ta femme Sarah, quand elle s’appelait encore Saraï.

            On avait ri.

            Dis-nous pour le reste de ta famille.

A            - Ils n’y comprenaient rien, sauf un neveu, Lot.

            Ils me disaient que la famille doit rester unie

            Qu’il faut se protéger des autres.

            Que le monde extérieur à la famille est un champ plein d’ennemis.

S            - Que leur as-tu dit ?

A            - C’était difficile: comment pouvaient-ils comprendre la main, l’oiseau

            La chaleur et la lumière qui m’avaient envahi ?

            Çà n’avait rien à voir avec leurs dieux, leurs idoles.

            Je n’avais pas les mots pour leur dire:

            Je ne savais même pas qui désirait me parler ainsi.

C            - Et ton père ? J’ai entendu dire qu’il s’appelait Terah.

A            - Oui, il m’avait donné la vie humaine, il m’avait enseigné

            Il était droit. Il était père et, je vous l’ai déjà dit:

            Il n’aurait jamais pu me donner le nom d’Abram qui veut dire père

            S’il ne l’avait déjà vécu dans sa propre vie.

S            - Alors ?

A            - Je ne sais s’il a compris ce départ sans retour.

            Peut-être a-t-il pensé à ces arbres qui envoie si loin leurs graines dans le vent ?

            Il m’a seulement dit:

            “Fils, tel que je t’ai construit, tu es. Creuse profond en toi, ferme les yeux et écoute.

            Tu viendras me dire la réponse, ce sera bon.”

 

Un silence ponctue cette phrase venue d’un autre âge.

 

Corhavone reste silencieuse et regarde Abraham d’un œil noir,

puis elle sourit soudain et lui dit:

 

C            - Moi aussi, je vais te poser une devinette:

            Si j’avais entendu un tel oiseau me parler ainsi,

             malgré tout ce que tu nous as dit, je ne serais pas partie.

            Pourquoi ?

 

Abraham fronce les sourcils qu’il a très épais et demande à la fille:

 

A            - C’est à moi de te demander pourquoi.

C            - Non ! C’est à ton tour de chercher. Tu nous assez fait languir tout à l’heure.

            Il manque quelque chose à ton histoire.

            Ou bien tu l’as oublié, à ton âge, je comprends, mais nous, on veut savoir.

A            - C’est vrai, les premières choses que l’oiseau m’a dites m’ont tellement touché

            Que je suis parti. Vous croyez que l’oiseau m’a dit autre chose ?

C            - Cherche bien, j’en suis sûr.

            Sinon c’est moi qui te raconterai une autre histoire.

S            - Corhavone ! Tu abuses ! Tu te rends compte comme tu lui parles ?

C            - Tu veux l’autre histoire, c’est ça ?

A            - Peut-être que la mémoire commence à me manquer ?

C            - Peut-être que c’est Saraï, comme moi, une fille, qui a pensé comme moi.

            Cherchez bien ! Est-ce que quelqu’un de sensé peut partir ainsi ?

            Il manque quelque chose. Si j’avais été Saraï, je ne serais pas partie avec toi.

A            - Peut-être que tu commences à me fatiguer.

            Raconte ton histoire, je verrai si je me souviens.

C            - Voilà l’histoire, elle arrivait, mon cher Abraham à un de tes petits fils.

            Un des fils d’Ismaël.

            Il s’appelait Agapito et c’est lui qui me l’a racontée:

            Quand il était jeune, il était toujours prêt à tout, vif comme l’éclair.

            Sa mère lui disait par exemple:

            “Agapito”

            “oui maman”

            “tu veux bien, pour le repas, aller me chercher au village du …”

            la maman n’avait pas fini sa phrase qu’Agapito était déjà parti comme flèche.

            Tout le monde riait et Agapito revenait après un moment en disant:

            “ pour rapporter quoi, maman ?”

 

Abraham se frappe le front et se souvient. Il regarde tendrement Corhavone et la remercie:

 

A            - Grand merci Corhavone! Tu veux dire que si j’étais parti avec seulement ce que je vous             ai raconté jusqu’ici, j’aurais dû revenir en grand embarras ?

C            - Tu as tout compris Abraham. C’est çà !

            Alors, dis-nous maintenant la suite du discours de la main ou de l’oiseau,

             ça m’interresse !

A            - Tu as raison, Corhavone, j’avais oublié la suite, ou bien c’est vous qui m’avez distrait !

            Souvenez vous du premier jour:

            Je suis dans le silence avec les moutons,

            La grande main, ma main, l’oiseau, les paroles qui se gravent en moi…

            l’invitation à partir… Et voici enfin la dernière parole:

            “Va…Vers la terre que je te ferai voir”

S            - C’est tout ?

A            - Oui, c’est tout, dans tous les sens.

S            - Et tu es parti ?

A            - Je suis parti sur cette parole pour deux raisons.

S            - Explique !

A            - La voix ne me disait pas de partir pour un rêve, un inconnu, mais vers une terre.

            Un endroit où poser ferme les deux pieds.Un vrai endroit. Une terre.

C            - Et l’autre raison ?

A            - C’est la plus mystérieuse, celle qui peut faire reculer,

            celle qui parle en nous au delà des idées.

S            - Il y a un au delà des idées ?

 

Abraham se plonge en lui même, comme s’il était à nouveau dans la grande main.

Les jeunes voient sa main droite se retourner et s’entrouvrir mais ils n’entendent rien.

 

A            - Oui, Samuel, c’est dans cet au delà des idées que se situe la confiance, l’amitié.

            Écoute ce que j’ai entendu:

            “Va  vers la terre que Je Te ferai voir.”

            Cette voix me disait trois mots:  Je et Toi et Voir.

            Enfin ! à moi petit berger posé dans l’herbe, un JE parlait et disait TU.

            Je n’avais jamais rencontré d’idole de bois ou de pierre ou de terre

            pour me dire Je et Toi de cette façon.           

 

Les deux bergers restent cois d’étonnement.

 

S            - Alors, tu as compris que tu existais pour quelqu’un d’inconnu ? Un autre ?

A            - Il faut un Je pour dire “Tu”.

             Pour les esclaves, il n’y a ni Je ni Tu: on leur parle ainsi:

            “Eh ! les bergers, là bas, faites ceci, ou faites cela…”

 

C            - Je devine la suite de ton histoire et elle me fait peur.

             C’est pire que tout: tu n’as pas été esclave, mais tu es parti dans l’inconnu.

           

A            - Oui ! Tu as raison…            je me suis mis debout et je suis parti.

S            - Comment as-tu fait ?

C            - Tu as sauté dans le vide. Le vide du voyage, du désert, du silence.

            Du doute, de l’oiseau envolé…

            L’as-tu entendu chanter, pendant le voyage ?

A            - Non. Rien que la marche et la chaleur qui me restait dans le cœur

            Depuis que la grande main m’avait accueilli,

            puis lâché en m’envoyant vers le couchant.

S             - Je pense aux pierres que l’on jette parfois pour faire courir les chiens.

            Tu n’a pas été jeté comme une pierre.

C            - Il a dû penser que tu pouvais toi aussi être oiseau et voler…

S            - Est-ce qu’on peut dire qu’il t’a fait confiance ?

A            - Tu dis vrai. C’est ce que j’ai répondu bien plus tard.

 

Les trois amis tournent les yeux vers la grande prairie qui frémit sous le vent

Ils restent là sans rien dire. Tout est nouveau pour les deux bergers.

Ils ont vu Abraham, ils ont entendu les mots prononcés.

Ils désirent maintenant que ces mots occupent doucement les immenses espaces

qu’ils pressentent en eux-mêmes. Espaces secrets.

Eux seuls en feront-ils des déserts ou bien des jardins ?

Ils se tournent à nouveau vers Abraham et lui posent la question dernière:

 

S            - Quand tu es arrivé, après les jours, étais-tu attendu ?

A            - Je suis arrivé en pays de Canaan, puis à Sichem, jusqu’au chêne de Moré.

C            - Et là ?

A            - C’est difficile à dire. C’est trop intérieur pour le dire.

            J’étais debout et il s’est fait voir.

            J’ai fait un autel et j’ai crié son nom.

C            - Tu viens de dire trois fois “Je”

A            - Oui… Un pour les yeux de chair qui voient le monde,

             un pour les yeux intérieurs qui comprennent

            et un pour d’autres yeux en moi que je ne connaissais pas.

S            - Les yeux qui voient la confiance et l’amitié ?

A            - Tu as tout compris, Samuel !

C            - Tu dis que tu as crié son nom. Quel est ce nom !

A            - Ça a crié en moi, c’est sorti de moi. Je ne peux t’en dire plus.

            Je te souhaite de le vivre.

 

Les trois amis regardent loin devant eux,

Le paysage, si beau soit-il, doit comme s’effacer,

se faire écrin pour mettre en valeur une autre réalité invisible aux yeux de chair.

Un chien qui passe devant eux, courant après un petit animal, ne les distrait même pas.

Samuel prend le premier la parole et dit:

 

S            - Tu as été trop vite, Abraham ! On veut entendre à nouveau et comme …revoir

            Ce que tu as vécu en arrivant au pays de Canaan.

            Dis-le nous encore.

A            - Merci de votre demande.

            Ce qui m’est arrivé passe sans cesse dans ma mémoire.

            Il est bon pour moi d’habiller cette rencontre avec des mots.

            Si je le peux !

C            - On est avec toi, Abraham. Tu peux y aller.

 

Ils se rapprochent tous deux du vieil homme, et attendent ses paroles avec impatience.

Mais voilà qu’il se tait. Il ne dit plus rien et parait plongé dans ses pensées.

 

S            - Allez ! Grand père ! Vas-y ! On est là .

A            - Vous êtes là, je vous vois, mais les mots ne veulent pas sortir.

            Il faut du temps. Rendez-vous compte:

            mon voyage vers Sichem a duré des lunes et des lunes.

            Ensuite, tout ne s’est pas déroulé en un jour.

            Pour vous aussi, il faut du temps. C’est comme les fleurs.

            Une fleur s’est plantée en vous depuis notre rencontre.

            Laissez là grandir.

            J’ai attendu des mois et ce fut profitable.

            Voyez ce que le temps fait en vous pendant une lunaison.

            Revenez quand l’heure sera mûre.  Shalom !

           

La surprise les cloue sur place et ils ne savent plus que dire.

Le chien entrevu tout à l’heure repasse devant eux, essoufflé par sa course vaine.

Cette fois ils le regardent, aussi dépités que lui…

Corhavone pousse Samuel du coude et lui dit tout bas:

 

C            -Quelque chose me dit qu’il a raison.

            Maman m’a toujours dit qu’un plat mijoté longtemps est meilleur.           

S            - Tu sais pourtant que je préfère le grillé !

C            - Si tu le laisses au feu, il attache. Allez ! Décolle-toi et viens.

 

Les deux bergers remercient Abraham et se glissent dans leur tente.

Dans le ciel clair, vers le couchant, trois oiseaux, à petits cris, cherchent leur nid.

Abraham retrouve son logis. Les bergers leurs moutons. Rien n’est plus pareil.

                                                         

travail sur Gen.12, 1.               J.  10 février 2008.

 

 

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 16:07

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Le vieil Abraham et les deux bergers Samuel et Corhavone se sont pris d'amitié. Ils se découvrent tous les trois.


 

4.  Abraham et les bergers     (suite )

 

 

 

Abraham est déjà là quand leur course les amène devant lui.

 

S             - Shalom

C            - Shalom           

A            - Shalom

 

Ils sont comme intimidés, étonnés par le poids de cette histoire qu’ils ne soupçonnaient pas.

Samuel se lance:

 

S            - Alors, Abraham ! Dis nous encore…on a soif de tes paroles !

            Comment as-tu rendu souple ce qui était si dur ?

A            - Merci Samuel, ta question me donne une idée:

            Si je pense au pays que j’ai quitté, Haran, où il fait si chaud.

            Ce fut difficile et facile en même temps.

C            - C’est possible, ça ?

A            - Tout à fait. Regardez ! Je prends une par une les demandes de la voix.

            D’abord la terre si belle de mon pays,

            J’ai soudain vu les nombreux dieux que les habitants y avaient modelé, sculpté

            Ils les adoraient pour se rassurer, mais c’étaient des images, des idoles muettes.

            La main qui m’avait saisi et sa chaleur entrevue les rendaient ridicules, inutiles.

            Dangereuses quand les hommes se les volaient, se tuaient pour elles.

S            - Ces idoles n’ont pas cherché à te retenir ?

A            - Pas les idoles ! Mais leurs fabriquants qui perdaient des clients. Oui ! Ce fut dur.

            Ils m’ont menacé, jeté des sorts, prédit la mort.

            Toute cette mise en scène m’a aidé à partir encore plus vite.

            Mais cette terre m’a servi à prendre mon élan et je lui en sais gré:

            Au départ d’une course, le pied doit être solidement ancré au sol,

            Sinon c’est la chute.

 

Les bergers se taisent à nouveau.

Ils regardent sans grand intérêt les idoles qui traînent encore dans le pays, ou qui reviennent.

La main et l’oiseau d’Abraham les attirent davantage que ces images creuses.

C’est plutôt le regard du vieil homme et son amitié qui les ramènent chaque soir.

Corhavone, d’une petite voix inquiète demande alors:

 

C            - Et ta famille ? Comment çà s’est passé ?

A            - Bien et mal, là aussi. Ma mère a crié des yous yous de désespoir, mais…

            Elle était aussi bien contente de voir partir de la tente  Saraï, mon épouse.

C             - Tu étais déjà marié ? Tu ne nous en a pas encore parlé !

A             - Ah ! Saraï, ma chère épouse ! Si vous l’aviez vue !

             On a toujours dit que c’était une des plus belles femmes possibles à voir !

            Et elle a été belle jusqu’à sa mort. Pas toujours commode, mais belle !

            Elle est pour moi présente comme au premier jour et m’a accompagné partout.

            Parfois je me demandais d’où venait notre amour.

            Elle me répondait sans quitter son ouvrage:

            “C’est tout simple”. Je lui demandais “et encore” et elle répondait: “c’est tout”.

S            -  Je te crois, c’est quelque chose que notre mère dirait.

            C’est peut-être pour cela qu’on s’entend bien ?

 

C            - Parle nous encore de Saraï ! je croyais qu’elle s’appelait Sarah ?

A            - Oui ! Comme moi, elle a changé de nom.

            Au début, elle s’appelait Saraï, c’est à dire “ma princesse”.

S            - Alors, elle était ta  princesse ?

A            - Eh non ! Quand tu as la place du roi, ta femme qui était princesse devient reine.

S            - Alors, si tu lui disais “ma princesse”, tu n’étais plus roi ?

C            - Moi je sais…moi je sais…

S            - Ça m’étonnerait !

C            - Tu ne peux pas savoir…

S            - Pourquoi ?

C             - Un garçon, c’est un prince, pas une princesse !

S            - Et alors ? Si tu es princesse, il y a quelqu’un qui t’appelle “ma” Corhavone”

C            - Oui ! Et tu le sais très bien ! C’est papa !

 

Samuel, du fond des siècles, en un geste universel,

se vrille la tempe du doigt en regardant sa sœur.

Abraham rit et a du mal à s’arrêter. Il doivent lui taper dans le dos.

Il sort de nouveau trois figues du panier et dit à Samuel:

 

A            - Tu sais ce qui m’a fait rire, Samuel ?

S            - Non, je n’ai pas envie de le savoir.

A            - C’est que Corhavone a raison.           

             Je l’ai compris seulement après qu’il m’ait été dit de l’appeler Sarah,

             au lieu de Saraï: C’est après ce changement de nom qu’elle a pu avoir notre filst: Isaac.

C            - Tu vois ! C’est le papa qui dit “ma princesse”

             Abraham était le mari, pas le papa…

 

Un fou rire les prend et ils se tapent mutuellement dans le dos.

Quelques passants s’inquiètent et disent:

 

P            - Ca va Abraham ! Tu n’a besoin de rien ?

            Ces enfants ne t’ennuient pas ?

A            - Ne craignez rien, je rajeunis !

P            - Peut-être, mais à ton âge, ce n’est plus l’heure de bavarder.

A            - Allez tous dormir !

 

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11 mai 2012 5 11 /05 /mai /2012 23:09

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Le vieil Abraham et les deux bergers Samuel et Corhavone se sont pris d'amitié. Ils se découvrent tous les trois. Ce récit a été inspiré par un travail sur la Bible en Genèse, chapitre 12, verset 1.

 

 

3. Les bergers et Abraham      ( suite )

 

 

La journée leur paraît longue. Ils ont l’esprit occupé :

Que feraient-ils si une voix leur disait soudain d’aller vers l’inconnu ?

Vers un avenir incertain ?

Samuel rassure un peu Corhavone en lui rappelant une phrase souvent entendue de leur mère:

C’est très simple: dans la vie, il y a des portes qui s’ouvrent et des portes qui se ferment

Elle lui répond:

 

C            - La vie des moutons est plus simple ! Regarde les, ils se suivent toujours.

S            - Ils ont besoin de chiens et de bergers.

C            - Tu crois qu’on pourrait vivre sans bergers ?

            Qu’il faudrait des chiens pour nous garder ?

S             - Mais non, justement: on n’est pas des moutons !

 

L’impatience les fait arriver un peu plus tôt à leur rendez-vous.

Ils ressortent les billes mais n’ont pas le cœur à jouer.

Ils se concertent tout bas.

C’est ainsi qu’il ne s'aperçoive pas de l'arrivée d'Abraham qui se pose sur le banc.

Il les regarde quelques minutes avec affection:

Combien de fois a-t-il vu des jeunes se parler ainsi tout bas ! Comme seuls au monde.

Il toussotte et leur demande:

 

A            -  Avez vous bien dormi ?

S            -  On a rêvé…On voyait des chemins s’ouvrir, des précipices.

C            - Des enfants perdus, des parents qui pleurent…

S            - Dis-nous, toi qui est devenu notre ami, c’est si dur que ça, la vie ?

A            - Oh Non ! La vie est d’abord une aventure, des rencontres, des voyages.

            Les épreuves…C’est comme la montée avant le sommet.

            Comme la course qui permet l’arrivée.

            Comme l’air que tu vides de toi-même  avant d’en aspirer un tout neuf.

            Comme les marches taillées dans le rocher.

            Comment monterais-tu sans elles ?

 

Samuel et Corhavone respirent tous deux un grand coup et demandent à Abraham:

 

S            - Que t’a chanté l’oiseau dans ta main après t’avoir dit de te réveiller

C            - Et d’aller ton chemin ?

A            - Réfléchissez ! Si vous voulez partir avec un âne ou un chameau.

            Que faites-vous d’abord ?

C            - On lui donne à boire !

A            - L’idée est bonne mais il a bien bu et bien mangé.

C            - Alors…on le tapote gentiment en lui demandant de venir avec nous.

A            - Ça ne suffit pas, il vous regardera avec un air plus intelligent que vous

            Et il ne bougera pas.

S            - Ce n’est pas de jeu ! Pourquoi parles tu d’âne ou de chameau !

            Nous, on part à pieds.

A            - Ta sœur ne t’a jamais traité de chameau ?

S            - Si, et pire que çà…et je lui ai répondu…

A            - Et n’étais tu pas un âne à ce moment là ?

            Par moments, ne sommes nous pas tous, ânes ou chameaux ou pire ?

C            - Tu nous fais languir ! On ne sait toujours pas ce qu’a chanté l’oiseau !

A            - Je ne l’ai pas dit parce que vous le savez ! Lalalère ! comme vous dites.

            Cherchez bien… C’est si facile !

 

Les deux bergers se concertent tout bas. Et soudain Samuel pousse un cri:

 

S            - Pour l’âne ou le chameau, on les détache d’abord.

A            - Bien !

C            - Mais pour nous, on ne sait pas. On n’est pas attachés à un piquet.

A            - Vous croyez ? Vous n’êtes attachés à rien ? Comme des feuilles qui s'envoleraient ?

C            - Je suis attaché à mon père et à Samuel

S            - Et moi à ma mère, à notre tente, à notre pays, et aussi à Corhavone !

 

L’homme à la barbe blanche qui en a tant vu et entendu se réjouit et leur dit:

 

A            - Maintenant, vous pouvez entendre la suite…

            Vous comprendrez l’intelligence de cet oiseau.

C            - Alors !

S            - Alors !

A            - Eh bien, après m’avoir dit “va vers toi”,

            Je l’ai entendu me dire:” depuis ta terre, depuis ta famille, depuis ton père”

C            - Oh !

S            - Oh ! Et toi, tu as été aussi long que nous à comprendre ?

A             - Comme vous, et puis, la nuit suivante j’ai compris comme vous:

            Il me demandait de quitter ma terre, ma famille, mon père…

           

Les deux bergers restent interdits et se regardent avec inquiétude.

Abraham les console en leur disant:

 

A            -Les jeunes fruits que vous êtes ne sont pas encore mûrs

            Un fruit mûr se détache tout seul.

S            - Et j’en ai vu, restés dans l’arbre qui s’abîmaient.

C            - Quand on est un fruit mûr, tombé, est-ce qu’on n’a pas envie de rester sous l’arbre

            Qui nous a engendrés ? On ne peut partir !

S            - Mais, Corhavone ! on n’est pas des figues trop mûres !

 

Abraham est heureux de la clairvoyance de ces jeunes.

Il rit avec eux et sort justement trois figues bien juteuses de son panier.

Leurs yeux brillent et la joie découvre de belles dents bien rangées.

Il les laisse parler entre eux:

 

C             - Justement ! je ne sais pas si je ne serai pas comme une figue

            Quand ce sera le temps de partir, de quitter la tente.

S            - Si tu n’es qu’une figue, tu te feras manger !

C            - Samuel ! si j’étais figue, tu serais chameau !

 

Ils se retournent tous deux vers Abraham.

De nouveau, plusieurs questions font briller leurs yeux:

 

S            - Dis-nous, grand père Abraham

            Il aurait suffi que la voix te dise de quitter ton pays pour que tu partes.

            Pourquoi a-t-elle ajouté: “ ta famille et ton père” ?

A            - Si tu savais combien de fois je me suis posé la question !

C            - Alors ! çà veut dire que tu n’es pas parti tout de suite ?

A            - Eh bien non ! La voix, la grande main, me laissait libre.

            Il m’a fallu du temps. Et pour quitter pays, famille et père

            Il m’a d’abord fallu découvrir ce qu’ils étaient pour moi.

            Avant les paroles reçues de la voix, je n’en avais pas conscience.

S            - C’est vrai, père Abraham ! C’est en sortant ou en rentrant dans la tente

            Qu’on en saisit la chaleur.

A            - Tu as presque tout compris !

            La terre qui n’était pour moi qu’un paysage avec des moutons

            est devenue la terre de mes ancêtres et je l’ai aimée doublement;

C            - Et ta famille ?

A            - Quand l’idée de m’en éloigner a surgi en moi, j’ai couru les embrasser tous !

            Ils étaient pour moi le monde entier. Et soudain ils ne l’étaient plus

            Ils ne comprenaient pas.

S             - Et ton père ?

A            - C’est lui qui m’avait donné mon beau nom

            On n'est jamais le premier père au monde ! Il en faut au moins un avant toi.

            Je ne lui ai pas dit au début que j’allais partir, mais quand je l’ai embrassé,

            Il a compris et il a pleuré.

C            - Tu veux nous dire là que le message reçu a commencé par renforcer les liens

            Qui t’attachaient à ton piquet ?

A            - Toi aussi, tu es en passe de tout comprendre.

C            - Et tu ne t’es pas révolté contre la voix, contre la main ?

A            - Ce fut très dur.

S            - Raconte-nous !

 

Les yeux humides, Abraham et ne dit plus rien.

Il est des choses difficiles à transmettre, des douleurs qui n’appartiennent qu’à soi.

Chacun a son passé bien à l’abri dans un creux de rocher.

On peut le sortir par instants avec des amis, mais il est farouche

comme un animal sauvage, il retourne vite à son creux d'ombre.

C’est encore Corhavone, petite femme, qui pressent l’essentiel…

Elle dit tout bas à Samuel:

 

C            - Viens, Petit berger, c’est l’heure de rentrer !

            Merci Abraham…tu nous fais naître toi aussi.

            À demain.

           

La nuit et la journée suivante sont calmes.

Ils vont tous leur chemin du jour. Il sonne plus grave sous leurs pas.

 

 ( à suivre )

 

 

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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 15:39

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Le vieil Abraham et les deux bergers Samuel et Corhavone se sont pris d'amitié. Ils se découvrent tous les trois.

Ce récit a été inspiré par un travail sur la Bible en Genèse, chapitre 12, verset 1.

 

 

2.    Abraham et les bergers   (suite)

 

 

Le lendemain, leur travail accompli, ils sont devant la tente d’Abraham.

En l’attendant, ils se sont fait des billes en terre rouge qui roulent sur des sentiers improvisés.

 

A            - Chalom Samuel, Chalom Corhavone.

 

Pris par leur jeu, ils ne l’ont pas vu arriver et se poser sur le banc.

Ils bondissent et se tiennent debout devant Abraham.

 

C.S        - Chalom Abram !

A            - Asseyez vous devant moi, que je ne force pas la voix.

            Pourquoi m’appelez-vous Abram ?

S            - C’était ton nom au début et on souhaite que tu parles à nouveau de ce commencement.

            Tu as parlé de voix, d’effroi, de silence. On ne comprend pas.

 

Abram est heureux: c’est la première fois qu’on lui pose et repose une telle question.

Il ferme les yeux, se concentre en lui-même pour appeler ses souvenirs et leur dit:

 

A            - Vous avez raison. Hier soir je ne trouvais pas les mots.

            La nuit m’a éclairé.

 C            - Comment une nuit peut-elle éclairer puisqu’il fait noir ?

A            - C’est la lumière qui touche les yeux qui est éteinte,

             comme le soleil qui se couche sur nos tentes.

            Mais le soir, on allume la lampe à huile. Elle éclaire les ombres.

            On peut découvrir du nouveau, la journée repasse dans notre esprit.

            Quand on est au lit, on peut rêver, parfois même les rêves nous éveillent.

 

Corhavone frissonne.

 

C            - Je crois que maintenant j’aurai moins peur de la nuit.

            Mais, grand père !  Parle nous encore du jour où tu étais debout avec tes moutons.

A            - Je ne t’ai pas dit que j’étais debout ! Comment le sais-tu ?

S            - Un bon berger est debout et s’appuie sur son bâton.

 

La barbe d’Abraham ne parvient pas à cacher son sourire.

Il frappe vigoureusement le sol de son bâton en disant:

           

A            - Je commence à croire que vous avez tout compris !

C            - Mais non! On n’a encore rien compris: tu ne nous as rien dit sur l’autre qui était là.

 

Abraham ferme les yeux et se dit en lui même:

 

A            - Ces deux là ne sont pas ordinaires !

            Ni l’un, ni l’autre n’était  encore né à cette époque !

 

Il les regarde attentivement et dit:

 

A            - Quand j’étais debout avec les moutons et que c’est arrivé,

            C’était comme si je me trouvais bien niché au creux de la paume d’une grande main.

            Les doigts ne me serraient pas, ne me manipulaient pas

            Je ne voyais pas le bras mais je me lovais comme un bienheureux dans cette paume.

            Les doigts, délicatement entrouverts me laissaient bouger et respirer.

 

Samuel et Corhavone retiennent leur respiration. Abraham continue:

 

A            - Et, au même instant, croyez le si vous pouvez !

            Celui qui cherchait à me parler se tenait aussi, pelotonné, comme un oisillon

            Au creux de la paume de ma propre main droite que j’avais ouverte.

            Je suis sûr que çà vous est arrivé de recueillir ainsi un oisillon ?

C            -Oui ! Oui ! On connait

S            - Le plus souvent il meurt.

           

Corhavone fronce les sourcils:

 

C            - Je ne comprends pas très bien: comment celui qui te recevait

            dans la paume de sa main pouvait-il être aussi dans la tienne ?

A            - Je me suis aussi posé cette question ! Et je me la pose encore.

            C’est ce que j’ai vécu ce jour là.

            Comme si l’Autre était autant en dehors de moi qu’à l'intérieur de moi-même.

C            - Je comprends mieux. Et c’était qui ?

A            - Je me suis aussi posé cette question, et je me la pose encore.

            Elle a habité toute ma vie.

 

Samuel le berger insiste:

 

S            - L’as-tu rencontré d’autres fois, cet inconnu ?

A            - Il m’ accompagne et me précéde jusqu’à maintenant.

           

Les deux bergers s’exclament:

 

C,S            - Raconte nous ! On est impatients.

A            - Vous allez trop vite, comme moi au début. Heureusement il m’a appris la patience.

            Mais…Où en étions nous ?

S            -Tu avais l’oisillon dans ta main. Qu’a-t-il fait ?

 

Abraham, les yeux mi clos se concentre en lui même, pour revivre cet instant du passé.

 

A            -Il s’est envolé. Comme un vrai oiseau.

 

Corhavone, dévorée de curiosite proteste:

 

C            -Tu dis çà pour ne pas dire la suite. Ce n’est pas de jeu !

A            - Pas du tout ! L’oisillon a chanté comme ils savent le faire.

C            - Et seulement un cri d’oiseau, ou bien des paroles ?

A            - Écoutez bien, c’est à la fois simple et compliqué…

 

A            - Il a dit…ou plutôt, j’ai entendu, j’ai été habité par ces mots étranges:

           Va vers toi même                                                                                           Gen, 12. 1

S            - Quoi ? Qu’est-ce que çà veut dire ?

A            - J’ai cherché, puis j’ai pensé à tous les projets qu’un jeune homme peut faire.

            Peut-être voulait-il m’inviter à aller au bout de mes projets ?

            Vers le meilleur possible de ma vie.

 

Samuel le petit berger sourit et dit:

 

S            - Peut-être étais tu comme je suis parfois moi-même:

            ou paresseux ou découragé.

C            - Il voulait te réveiller ?

A            - Je crois que tu as raison. J’étais trop rêveur, peut-être ?

            Et puis…qui étais-je ? un simple petit berger…après avoir été vendeur d'idoles.

            Qu’allais-je devenir ? je ne le savais pas.

            La voix m’invitait à un “devenir”

 

Samuel l’interrompt:

 

S            - Tu n’étais encore qu’Abram et tu allais devenir Abraham ?

A            - Si j’avais su ! Non…çà, ce n’est pas une bonne idée, de souhaiter voir l’avenir.

            Mieux vaut ne pas le connaître d’avance.

            Comme çà on le construit avec de l’espérance.

C            - Alors ! Tu nous mets l’eau à la bouche:

            Qu’est-ce que la voix t’a encore dit ?

            Elle t’a  dit d’aller vers toi, d’accord ! Mais  çà ne suffit pas pour partir.

           

 

 Abraham se tait, regarde le soleil se coucher et dit  à ses deux compagnons:

 

A            - Demain il fera encore jour…

            Allez vous reposer.

             Peut-être découvrirez vous cette nuit ce qui est nécessaire  pour partir !

 

Les deux compères protestent un peu, puis ils ramassent leurs billes

Et à pas lents se dirigent vers la tente familiale.

Au loin, le coucher de soleil leur apparaît, flamboyant, chaleureux…

Puis c’est l’obscurité et la tombée de la nuit qui fait courir tous les jeunes vers leur nid.

 

                                                                                        ( à suivre...)

 

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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 11:04

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Le vieil Abraham et les deux bergers Samuel et Corhavone se sont pris d'amitié. Ils se découvrent tous les trois.

Ce récit a été inspiré par un travail sur la Bible en Genèse, chapitre 12, verset 1.

 

 

 

 

 Abraham répond aux questions de deux bergers      

 

 

1.  La rencontre

 

 

Ils rentraient les moutons.

Le garçon courait premier, la fille qui courait seconde était sa jeune sœur.

Il aimait l’appeler “Corhavone”, “petite étoile”.

Elle l’appelait alors amicalement “petit berger”.

Son vrai nom était Samuel car il savait écouter.

 

Seuls enfants de la tente, ils se quittaient peu.

Le père qui vendait des paniers partait souvent avec son âne.

La maman les regardait d’un œil tendre et penché.

Ils étaient son avenir et son présent.

Elle ne se retournait pas vers un passé difficile

Qui lui avait arraché le reste de sa famille.

Ce jour là, ils courent tous deux en s’appelant:

           

C            - Attends moi, petit berger…

S            - Ça te fait les jambes, Corhavone !

 

Les moutons rentrés, ils aiment parcourir le campement et saluer chacun.

L’un d’eux les attire particulièrement: le vieil Abraham.

Visage buriné, yeux profonds et souvent mi-clos, main droite serrée sur le bâton.

Il se tient souvent sur le banc, devant sa tente.

Sa très nombreuse famille s'est dispersée dans le pays et lui rend des visites chaleureuses

mais le reste du temps, il est seul.

Sa réputation de grand voyageur le fait regarder avec respect.

On commençe à dire beaucoup de choses sur lui.

 

Corhavone et Petit berger s’asseyent souvent non loin de lui et le regardent.

Ils essayent de deviner son histoire à travers sa simple présence.

 

C            - As-tu remarqué, Petit berger, qu’on peut regarder certaines personnes sans se lasser ?

S            - Peut-être, Corhavone,  que tu penses à notre grand père qui n’est plus ?

C            - Oui, sans doute, mais j’ai l’impression que cet homme là n’a pas d’âge.

 

Un jour, Petit berger s’enhardit et se pose sur une pierre, en face de l’homme.

 

A            - Bonjour, Samuel. Bonjour Corhavone ! Que voulez-vous ?

C            - Bonjour, grand père.

S            - Bonjour grand père.

 

Ils ne s’attendaient pas à être salués les premiers.

C’est l’homme qui les questionne et c’est eux qui voulaient poser des questions…

 

A            - Merci de votre salutation, Que voulez-vous ?

C            - On voudrait…

S            - On voudrait mieux te connaître.

C            - On voudrait connaître ton histoire

S            - Et aussi ton vrai nom, il paraît que tu en as changé.

A            - Oui…On m’appelle maintenant père d’une multitude, çà se prononce Abraham.

            C’est devenu mon nom. Une multitude comme les grains de sable de la mer.

C            - Tes enfants seront comme des grains de sable ?

A            - Corhavone ! réfléchis ! Qui peut compter les grains de sable de la mer?

C            - Personne !

A            - Eh bien ma descendance sera tellement nombreuse qu’on ne pourra pas la compter

            voilà ce que çà veut dire.

           

S            - Et avant ? on t’appelait comment ?

A            - Abram, tout simplement: çà veut dire père haut.

C            - Tu veux bien nous raconter ce qui t’est arrivé ?

 

Abraham toussotte et regarde les deux jeunes bergers.

Son histoire peut-elle les intéresser ?

Mais alors, pourquoi cette demande ?

Il gratte le sol du bout de son bâton, se gratte derrière l’oreille et leur dit:

           

A            - Je vais essayer, vous m’arrêterez si vous ne comprenez pas.

            Je ne pourrai pas non plus tout raconter, il y faudrait une vie, sinon deux.

            Et je n’ai plus beaucoup de temps sous le soleil. Vous êtes prêts ?

C            - On est prêts.

A            - Même si çà dure des jours et des jours ?

S            - Tu peux commencer.

A            - Au début, c’était à Our, en Mésopotamie, çà veut dire “brûlé”, roussi.            

            J'ai failli brûler comme mon frère Aran, dans le four qui cuisait les idoles de mon père l

            Puis nous sommes partis à Haran.

            Je m’occupais de moutons, comme vous.

            Un jour,  je m’en souviens comme si c’était ce matin

            Il y a eu un grand silence, juste après une brise légère.

            Vous avez remarqué que nos oreilles se ferment quand il y a du bruit

            Et s’ouvrent quand le silence survient ?

            J’étais seul, tout à fait seul, c’est pourquoi j’ai été surpris.

C            - Surpris de quoi ?

A            - C’était  peut-être une voix…

            C’est sans doute ce qu’on dira parce que c’est plus facile à comprendre

S            - Alors il y avait quelqu’un ? Tu as dit que tu étais seul !

A            - Justement ! Je me suis retourné dans tous les sens… personne !

            Ce qui arrivait semblait fait pour moi,

            Çà ne  passait ni par les oreilles ni par les yeux. Mais j’ai été rempli…

C            - Rempli de quoi ?

A            - Rempli d’effroi d’abord, puisque j’étais seul

            puis rempli de joie, dans le sens où rempli veut dire comblé.

           

Les deux bergers restent silencieux devant ce début imprévu.

Abraham respecte leur silence.

Il lui a fallu des années et des années pour se familiariser avec son aventure.

Ces deux là lui semblent ouverts, comme peut l’être l’enfance avant que le monde ne la bouscule.

Il ouvre la bouche pour leur dire:

 

A            - Rentrez maintenant à votre tente. Une nuit va passer sur nous trois.

            Qui sait le temps qui s’écoule en vérité pendant une nuit ?

           

Les deux bergers, d’abord surpris le remercient et s’envolent comme moineaux.

 

  ( à suivre...)                                                       J.O.

 

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