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24 novembre 2012 6 24 /11 /novembre /2012 09:41

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                                                                                                                                 Gen. 22...23

 

Transportons-nous aux temps d’Abraham et de Sarah, qui peuvent être aussi les nôtres...

Abraham est redescendu de la montagne avec Isaac.

Le couteau du père a menacé le fils de la promesse, et l’ange du Seigneur a retenu sa main.

Les deux sont bouleversés. Que vont-ils dire  à Sarah ? Sarah, comme toutes les mères, sent monter son angoisse. Sa beauté devient tragique. Elle veut comprendre. Elle pressent qu’un danger extrême a menacé son fils. D’où venait la menace ? Elle veut la conjurer.

Abraham, comme tant d'hommes parle peu. Il n’a pu pénétrer encore le sens de leur aventure.

Il est comme au réveil d’une nuit profonde.

 

 

 

Au campement d’Abraham, on chuchote, on questionne.

Trois servantes se tiennent à l’ombre d’une tente.

Elles aussi voudraient sortir de l’ombre qui les a tous recouverts.

 

Serv 1            - Vous avez vu le maître ? je ne l’ai pas reconnu.

Serv 2            - Si Hagar était encore ici, elle nous dirait.

Serv 3            - J’ai vu trembler Isaac lorsqu’il s’est déchargé du bois qu’il portait.

Serv.1            - Il ne m’a même pas regardée !

Serv.2            - Il est tout de suite parti sous la tente de Sarah, sa mère.           

Serv.3            - Je suis inquiète. Tout ceci ne présage rien de bon.

Serv.1            - Pourquoi t’inquiéter ? J’ai entendu un messager annoncer une naissance !

Serv.2            - Qui a enfanté ?

Serv.1            - C’est la femme de Bétouel. Le neveu du maître. Il a enfanté Rebecca

Serv.2            - Tu rêves ! Rebecca est née voilà au moins dix ans…

Serv.3            - Venez ! la maîtresse Sarah nous appelle. Je la trouve si fatiguée…

 

Isaac,  premier descendu de la montagne, court vers la tente de sa mère Sarah.

 

Sarah            - Mon fils ! Je te vois enfin ! Dis-moi pourquoi mon cœur s’inquiétait.

 

Isaac se presse contre elle, l’embrasse et ne dit rien.

 

Sarah            - Parle, fils ! Dis-moi. Que vous est-il arrivés ? Vous avez été si longs !

Isaac            - Je suis là, mère. Tu me vois ?

Sarah            - Je te vois et je respire. Tu es venu si tard pour moi. Je n’y croyais plus.

                        Faudra-t-il toujours que je t’espère ?

 

C’est elle qui l’embrasse et ils restent silencieux.

Une ombre d’homme se dessine à l’ouverture de la tente.

C’est le père. Il les voit, ne dit rien et s’éloigne en disant:

 

Abrah.            - Pourquoi ce garçon est-il si attaché à sa mère ? N’est-il pas maintenant un homme ?

 

Sarah donne à boire à Isaac qui la remercie. Il semble retrouver ses esprits.

Son visage si mobile retrouve presque son aspect habituel.

 

Sarah            - Bois, mon fils. Tu peux tout me dire.

Isaac            - Je ne sais pas. C’est difficile. Je n’ai pas encore compris.

Sarah            - Prends cette galette, tu parleras ensuite.

 

Abraham passe à nouveau devant la tente, hésite un instant et s’éloigne.

Sarah ne l’invite pas à entrer et demande à Isaac:

 

Sarah            - C’est avec ton père ? Vous vous êtes querellés ?

Isaac            - Pas du tout. Je lui ai seulement demandé où était l’agneau.

                       Il m’a répondu que dieu, l’élohim,  verrait ce qui lui conviendrait.

Sarah            - Vous ne m’aviez rien dit avant de partir. Qu’est-ce que cette histoire d’agneau ?

 

Isaac se remet à trembler, son visage se brouille. Il s’assied, se cache la tête sur les genoux.

Sarah se penche vers lui et l’entend murmurer:

 

Isaac            - J’ai fermé les yeux, j’étais mort et je suis vivant.

 

Sarah se lève brusquement, sort de la tente et appelle Abraham.

 

Sarah            - Abraham ! Abraham ! Où es-tu ?

                     Tu ne dis pas “me voici” comme tu le dis quand ton dieu te parle !

                     Où es-tu ?

 

Abraham est loin, il marche tête baissée. Lui aussi a rencontré la mort et la vie.

Comment le raconter à la belle Sarah. Ce qu’il a vécu lui est si personnel !

C’est arrivé entre son fils et lui et son Seigneur.

Une femme peut-elle avoir place ici ?

Il ne revient que le soir et se glisse dans la tente.

Il s’allonge sans un mot près de sa femme Sarah qui n’en dit pas davantage.

L’expérience lui a appris qu’un conflit sur la couche éloigne le sommeil pour la nuit entière.

Les servantes qui se glissent dans la nuit pour savoir elles aussi

n’entendent rien de plus que le souffle des dormeurs.

 

Au matin, ils se réveillent dos à dos.

Cela n’empêche pas de se parler à une distance salutaire.

 

Sarah            - Abraham ? Tu dors ?

Abrah.            - Je dors.

Sarah            - Abraham ? Dis-moi…?

Abrah.            - Que veux-tu que je dise ?

Sarah            - Je veux savoir ce qui vous est arrivé: Isaac est bouleversé.

Abrah.            - Je ne le sais pas moi-même.

Sarah            - Ne mens pas, tu me dois la vérité.

Abrah.            - Une femme ne peut comprendre.

Sarah            - C’est une mère qui demande.

                       Et…suis-je seulement “une femme” pour toi ?

Abrah.           - Tu es Sarah.

Sarah            - Ne suis-je pas partie d’Haran avec toi ? Ne t’ai-je pas accompagné ?

                     Jusqu’à me faire passer deux fois pour ta sœur afin de te sauver la vie…disais-tu !

Abrah.            - C’est vrai, tu es venue.

Sarah            - Quand tu es parti avec Isaac pour la montagne. Qui as-tu suivi ?

                    Était-ce le Seigneur que j’ai entendu au chêne de Mamré ?

                    Celui qui m’a fait rire ?

Abrah.           - C’était un elohim, j’ai cru…

Sarah            - Pourquoi ne m’as-tu pas demandé ? Je l’aurais reconnu.

Abrah.          - C’était une affaire d’hommes.

Sarah            - Et alors ? Qu’avez-vous fait ?

Abrah.          - C’était comme un rêve.

Sarah            - On n’emmène pas son fils dans un rêve. Dis-moi vrai.

Abrah.            - J’ai cru qu’il me demandait mon fils. Nous sommes montés.

Sarah            - Si le Seigneur t’avait demandé Isaac, cela ne pouvait être que pour son bien:

                     Puisque c’est lui qui nous l’a annoncé, quand j’ai ri sous la tente.

                    Pourquoi Isaac est-il si bouleversé ? Je ne le reconnais pas.

                    Il a perdu son nom. Il ne peut plus rire. Il a parlé d’agneau.

Abrah.         - J’ai cru…

Sarah          - Les hommes me feront toujours rire…ils croient n’importe quoi.

Abrah.         - Ce n’était pas n’importe quoi.

Sarah          - Tu n’es pas capable de reconnaître le Seigneur d’un elohim ?

                     Tu es parti comme un mouton avec mon fils.

Abrah.          - Femme, tais-toi !

Sarah           - Je suis ta femme, je ne me tais pas. Ne le sais-tu pas ? Regarde-moi !

 

Abraham se lève brusquement et quitte la tente.

Comment expliquer à Sarah ce qu’il n’a pas encore compris lui-même ?

 

 

Les servantes s’affairent. Ce n’est pas bon de voir le maître en colère. Et Sarah encore plus.

Tout le campement chuchote.

On questionne les deux garçons qui accompagnaient le père et le fils.

 

X            - Que s’est-il passé ? Dites-nous, vous qui étiez avec eux.

1            -Nous montions tranquillement, puis, près du sommet ils nous ont dit de nous asseoir près                 de l’âne et ils sont partis, seuls.

X            - Et après ? Qu’avez-vous vu ?

2            - C’était trop loin.

1            - Je crois qu’il a attaché son fils Isaac.

2            - Puis j’ai vu briller quelque chose comme une lame dans le soleil.

X            - Et ensuite ?

1            - Ils ont couru dans les buissons et j’ai entendu bêler un bouc.

2            - Puis ils sont redescendus. C’est tout.

 

Chacun retourne à sa tâche en hochant la tête.

 

X            - Cet Abraham nous étonnera toujours.

Y            - Allons nous occuper d’Isaac. Il n’est pas bien.

1            - Nous deux,  allons voir Sarah, je l’entends pleurer.

               Elle est si belle, même quand elle pleure.

 

 

La journée s’annonce chaude, les herbes, les prés, les oliviers, les monts,

les fleurs accueillent le soleil de toutes leurs couleurs.

Les insectes, jardiniers attentifs, voyagent de l’une à l’autre.

Dans une indifférence totale aux peines humaines.

Pourtant, les chiens n’aboient pas, les chats ne veulent ni sortir ni rentrer.

Les coqs dressés attendent on ne sait quoi.

 

                                                       ***

 

Isaac n’a pas dormi. Le choc a été pour lui si inattendu qu’il en est hébété.

Il prend une distance inhabituelle avec son père.

Il ne court plus derrière lui comme à l’accoutumée.

Ils ne se sont encore rien dit.

Parfois il se voile les yeux comme si un glaive le menaçait à nouveau.

Il réalise soudain que ce glaive menaçant n’était que le couteau utilisé par le prêtre

pour couper le cordon ou circoncir les bébés.

 

Sarah décide d’utiliser la manière des femmes, expertes pour glisser un mot là ou il faut.

Au repas, on n’entend que la mastication du pain et l’aspiration du lait.

 

Abrah.            - Sarah ?

Sarah            - Je t’écoute, mon mari. Parle.

Abrah.            - Tu sais, Sarah…

Sarah            - Non, je ne sais pas.

Abrah.            - Si… Tu sais, tu connais notre amour pour Isaac.

Sarah            - Oui, je connais le mien, pour le tien, je ne sais plus.

 

Abraham pose son bol et chasse comme mouche la remarque de Sarah.

 

Abrah.           - Il me semble avoir vécu des années et des années en un seul jour.

Sarah            - Oui ?

Abrah.           - Je t’ai dit tout à l’heure que j’avais entendu un elohim avant de monter.

                      Il me semble maintenant qu’il y en avait plusieurs

                       et j’ai pensé à toutes les idoles qu’adorait notre père à Haran.

                      Autrefois, j’ai entendu dire que pour satisfaire des elohim, on tuait des enfants

Sarah            - Tu veux dire que tu étais prêt à sacrifier notre fils Isaac ?

Abrah.           - Quand je suis parti avec lui sur la demande d’un élohim,

                      j’ai d’abord pensé à une épreuve pour m’aider à m’en séparer un jour.

                     En montant, l’effort m’a grisé, je me suis senti comme emporté,

                     capable de n’importe quoi pour plaire à un dieu.

Sarah           - Tu veux dire pour plaire à une idole !

                    Quand arriveras-tu à reconnaître celui qui nous a mis en route ?

                    Lui, il n’est pas une idole de pierre ou de bois ?

Abrah.         - Tu me fatigues, Sarah !

                   Tes paroles ne me touchent plus. Tout cela est trop récent.

                   Laisse-moi du temps.

Sarah            - C’est çà…je vais te laisser mijoter, comme la viande sur le feu.

Abrah.          - C’est toi qui me brûles avec tes questions.

                      Arrête !

                     Je sors.

 

                                                                        ***

 

Serviteurs et servantes chantonnent tristement:

 

            - Quand les dieux cesseront-ils de nous tourmenter ?

            - Ces diables habillés en dieux nous cuisinent à leur façon

            - Sommes-nous donc légumes, viandes ou poissons ?

            - Fuyons, fuyons ces cuisiniers sans vérité…

            - Où courir ? Où monter ou bien descendre…?

            - Qui va pour nous les réduire en cendres !

 

                                                                        ***

 

Abraham, Sarah et Isaac s’évitent tout au long du jour.

Abraham taille rageusement des piquets pour la tente,

Isaac jette des pierres au loin et voudrait être pierre.

Sarah traîne sa beauté inutile de la tente au foyer,

Du foyer aux chèvres, des chèvres à la volaille.

Comme on disait à l’époque: “leur faces sont tombées”.

Abraham, le premier, s’approche de Sarah pour lui dire:

 

Abrah.            - Sarah ! J’ai besoin de te parler.

Sarah            - Si c’est seulement du besoin, tu n’as pas besoin de moi.

 

Abraham reste debout à côté de Sarah. Ils se demandent  en eux mêmes:

 

Abrah.            - Pourquoi est-il si difficle à l’homme et à la femme de se parler .

Sarah            - A quoi bon être belle ? Il ne me regarde plus. Comme s’il avait peur.

 

C’est le premier chien du troupeau qui les tire d’affaire: il vient frétiller de l’un à l’autre en quête d’une attention. Tous deux le regardent  affectueusement. Il s’assied alors sur son arrière train et les fixe l’un après l’autre.

 

Abrah.            - Tu vois ce chien, Sarah ?

Sarah            - Je le vois, Abraham.

                        Faut-il que je fasse comme lui pour que tu me regardes?

Abrah.           - Femme ! Viens sous la tente, nous avons à parler.

 

Et il se tourne vers le chien pour lui dire avec un sourire:

 

Abrah.            - Merci, le chien.

 

Le coq se met à chanter, le chat jaillit de la tente, trois oiseaux se poursuivent.

Sous la tente, Abraham et Sarah, assis face à face se servent une boisson bien chaude avant de se parler.

 

Abrah.            - Faut-il un chemin aussi difficile pour que je te regarde à nouveau ?

Sarah            - Je savais que ton cœur me regardait, mais je désirais voir tes yeux.

Abrah.           - C’est vrai, autrefois j’aimais aussi regarder au fond des puits, on y voit comme                        un œil, comme si le Seigneur nous voyait.

Sarah            - Parle moi de lui, de celui qui t’a lancé sur les chemins.

                      Quand nous étions jeunes mariés, à Haran.

Abrah.           - Il y a un pacte, tranché, établi entre nous.

Sarah            - Tu me l’as déjà dit. Est-ce que je suis dans ce pacte ?

Abrah.           - Il n’y aurait pas de pacte sans toi: il s’agit de notre descendance à tous les deux.

Sarah            - Alors, dis moi, n’y a-t-il pas aussi un pacte entre nous deux ?

Abrah.           - Tu vois, Sarah! Je vois la main du Seigneur dans le pacte entre nous deux.

                      Ce n’est pas une main qui pèse. C’est nous qui sommes posés sur elle.

Sarah            - J’ai été un peu jalouse: il te parlait. C’est ce que tu me disais.

                      Il se faisait voir à toi…mais je ne voyais rien.

                      Tu as aussi crié son nom, mais je n’ai rien entendu.

Abrah.            - Il t’a parlé quand tu étais sous la tente…

Sarah            - Quand trois hommes sont venus au chêne de Mamré ?

Abrah.            - Oui, il m’annonçait une descendance et tu as ri.

                      J’en ai eu honte.

Sarah            - Et moi j’en suis fière. Ce rire était comme une brisure en moi

                      Qui ouvrait une brèche, une porte, un espace. C’était un rire dans mon sein.

Abrah.            - Alors ? Pourquoi lui as-tu dit que tu n’avais pas ri ?

Sarah            - Je n’ai pas ri la bouche ouverte, c’était un rire dans mon sein.

                       Aucune femme ne raconte ce qui se passe en elle.

                       J’ai dit que je n’avais pas ri la bouche ouverte. C’est tout.

Abrah.            - Alors, femme…comment a-t-il su que tu riais dans ton sein ?

Sarah            - C’est bien ce qui m’a surprise. C’était comme indiscret de sa part.

                       Ce qui riait en moi ne le concernait pas,

Abrah.           - En es-tu bien sûre ?

Sarah            - Que veux-tu dire?...Tu voudrais dire que…

Abrah.           - Continue…tu le sais…

Sarah            - Tu crois ?

Abrah.           - C’est vrai.

Sarah            - Tu voudrais dire que le rire en mon sein était comme une place qu’il ouvrait,

                     Un nid qu’il préparait, alors que j’étais une femme stérile, une femme maudite ?

                    La place qu’a occupée ensuite Isaac dont le nom veut dire:”il rira”…

Abrah.           - Seule toi peux l’avoir senti !

Sarah            - Et toi, mon mari, comment as-tu su, pour me parler ainsi ?

Abrah.            - Il me l’avait annoncé quelques jours plus tôt.

                        Te souviens-tu du temps où je t’ai appelée Sarah

                       et non plus Saraï, la princesse d’un autre ?

Sarah            - Je me souviens maintenant.

                      C’est aussi le temps où je t’ai appelé Abraham et non plus Abram.

Abrah.          - C’est ce jour là. C’est aussi pourquoi j’ai aussi bien accueilli les trois hommes

                     Au chêne de Mamré: Ils venaient pour toi, pour nous, pour Isaac.

 

Ils n’ont pas le désir d’autres paroles entre eux.

Il n’y a plus un bruit dans la grande tente.

Abraham regarde le profil de Sarah, toujours aussi belle.

Elle se sait regardée, comme toute femme le sait, mais elle ne dit rien.

La nuit tombe sur le campement.

 

 

***

 

 

            Isaac            - A l’aide ! Au secours ! On veut me tuer !

 

Le cri d’Isaac déchire la nuit. Il est dressé sur sa couche, le front embué de sueur, yeux perdus,  membres tremblants.

Abraham se retourne et se rendort.

Sarah se précipite vers son unique.

 

Sarah            - Qu’as-tu, fils ?

Isaac            - J’ai vu un homme…j’ai vu un couteau… Il voulait me tuer !

Sarah            - Qui cela, mon fils ?

Isaac            - Ton mari, mon père, Abraham.

           

Sarah, figée par la terreur de son grand fils, le berce lentement, au rythme de son affection.

Les mots d’Isaac ne l’ont pas encore pénétrée.

 

Isaac            - Tu n’étais pas là, mère Sarah ! J’étais perdu.

                      Je sentais déjà la lame me transpercer.

 

Un  froid glacial envahit Sarah, elle découvre la poitrine d’Isaac, la caresse de la main,

ne trouve aucune plaie et lui dit:

 

Sarah            - C’était un mauvais rêve, mon fils.

                        Il n’y a pas de plaie, pas de couteau et ton père dort.

Isaac            - Le couteau a épargné la peau mais a touché le cœur.

                      Je le sens, crois-moi.

 

La main de Sarah s’immobilise et sent les battements précipités du cœur d’Isaac.

 

Sarah            - Mon fils ! Ton cœur bat, tu es vivant.

Isaac            - Pourquoi alors cette déchirure en moi ?

           

Il se lève brusquement, sort de la tente et court dans le campement, comme il aimait le faire, petit.

Il court et il court et son cœur s’apaise.

En passant devant la tente, il s’arrête et dit:

 

Isaac            - Mère Sarah ! je me sens plus léger, comme libéré d’un poids.

                    J’ai toujours mal mais je vis, ma vigueur ouvre des ailes.

 

Sarah le regarde passer d’une course vive et d’un coup, le voit en pensée quitter la tente, se marier, faire enfanter, s’éloigner dans les années…

Elle, Sarah, ne sera plus là, mais qu’importe !

Doucement elle referme la toile et s’allonge près d’Abraham.

Au matin, c’est lui, Abraham, qui, penché vers elle, voit ses yeux s’ouvrir et lui demande:

 

Abrah.            - Sarah ? Quel est ce bruit, ce mouvement qui m’a irrité cette nuit ?

Sarah            - C’est toi qui le demande ?

Abrah.            - Oui, c’est moi. Mes narines ont commencé à brûler et je me suis rendormi.

Sarah            - Tu m’étonneras toujours, Abraham !

            Comment peux-tu être si différent de moi ?

            Comment peux-tu toujours penser autre ?

            C’était Isaac avec un très mauvais rêve.

            Il disait que tu le tuais avec un couteau.

 

Cette fois Abraham est réveillé et les faits du jour précédent passent devant ses yeux.

Il essaie de les arrêter mais ils passent et repassent.

Il demande de l’eau et Sarah l’asperge avec vigueur.

 

Sarah            - Il est temps que tu te réveilles et me dise ce qui vous est arrivé.

            Pourquoi cette terreur de notre fils ?

            Hier, tu m’as parlé, mais tu ne m’as pas tout dit.

            J’en suis certaine.

            Ensuite tu m’as fait taire.

            Tu me disais que tu étais prêt à sacrifier ton fils. C’était donc vrai ?

Abrah.            - Je n’étais plus moi-même, une force venue du fond des âges

            m’a fait lever la main et le couteau.

            J’avais entendu chez mon père des récits de divinités qui dévoraient leurs enfants.

            D’autres qui enterraient des bébés à l’entrée des villes.

            J’ai soudain vu Isaac adulte et fort devant moi vieillissant et incapable.

            J’ai eu peur de son regard suppliant qui pouvait devenir triomphant.

Sarah            - Toi ? mon mari ?

Abrah.           - Oui, moi, je ne méritais même plus le nom d’Abram. Le nom de père.

            Je ne voulais plus donner la vie à un dangereux inconnu.

            J’obéissais aveuglément à un elohim, statue sans yeux et sans oreilles.

            Je l’ai attaché et pris pour un agneau.

 

Sarah se prend la tête dans les mains et gémit:

 

Sarah            - Mes jours ne pourront beaucoup se prolonger

            Ce sera préférable au supplice de dormir avec toi.

 

Abraham ressent une déchirure intérieure, comme la morsure d’un animal immonde.

Il se dresse, prend son bâton et dit à sa femme:

 

Abrah.            - Sarah ! ma femme ! Je ne suis pas une divinité. Nous sommes tous deux pétris par le             même potier. N’oublie pas que tu es aussi ma sœur, que nous avons même père sans   avoir             même mère. J’en ai toujours craint les conséquences. On a toujours dit que ce n’était pas bon.

            Est-ce cela que nous payons ? Je ne sais…

            Es-tu meilleure que moi ?

 

Sarah pleure de saisissement, elle pleure sans bruit, comme un ruisseau naissant.

 

Sarah            - Tu dis vrai, Abraham. Je suis aussi ta sœur et tu me l’as fait comprendre avec 

            Pharaon et Abimelek. Tu ne voulais pas mourir et j’étais si belle…

            Abimelek, le roi père, nous a dit aussi de nous choisir comme mari et femme

Abrah.            - Et non comme frères et sœurs, je me souviens.

Sarah            - Pourquoi le Seigneur nous a-t-il saisis ainsi ?

            Il aurait pu choisir un homme et une femme comme les autres ?

            Je me souviens… Je ne vaux pas mieux que toi.

            Lorsque je t’ai demandé de répudier Hagar et banir Ismaël à cause de son rire.

            Tu m’as obéi, cela m’a étonné. Que voulait dire son rire ? Que voulait-il ouvrir ?

            La première fois, Hagar m’avait offensée et je devais me défendre, mais la seconde…

Abrah.            - La première fois, c’est le Seigneur qui l’avait fait revenir, soumise.

            C’est toujours lui, le Seigneur, qui n’a cessé de nous réveiller,

             de nous sortir d’un monde passé plein de fureur.

Sarah            - Isaac et toute sa descendance ne seront pas de trop pour ouvrir ce chemin…

 

Sarah se relève soudain et dit impérieusement à Abraham:

 

Sarah            - Dis-moi, Abraham; Nous disons peut-être de belles choses,

            Nous nous frappons la poitrine, mais tu ne m’as toujours pas dit

            Pourquoi, dans ta fureur, tu n’as pas fait davantage de mal à Isaac ?

Abrah.            - Un messager du Seigneur a crié vers moi depuis les ciels

            Il a retenu mon bras, et m’a dit:”Ne lance pas ta main vers l’adolescent !

             Ne lui fais rien !” Je sais maintenant que tu crains les elohim.

            Tu n’as pas retiré Isaac de la présence du Seigneur” .

            Je me suis arrêté car j’ai reconnu le Seigneur et je le bénis !

            Toute l’humanité saura maintenant que les sacrifices d’enfants sont interdits.

            J’ai compris que les idoles voulaient la mort alors que le Seigneur voulait la vie.

            Les idoles voulaient que je sacrifie Isaac sur la montagne

            alors que le Seigneur voulait seulement que je monte Isaac en sa présence...

            pour aussi apprendre à me détacher de lui et pour qu'il aille sa vie.

            C’est pourquoi il m’a remercié d’avoir monté Isaac vers lui.

            Nous avons tué un bouc qui était là. à travers ce bouc, nous avons tué les idoles.

            Comprends-tu, femme ?

            C’est là que j'ai découvert la différence entre le Seigneur et les élohims, les idoles.

            Les idoles sont sacrées pour le monde, mais le Seigneur est Saint: Aucune mort en lui.

            Je garde une peine profonde en moi, le rappel de ma faiblesse:

             Isaac l’a découverte en me voyant au dessus de lui avec le couteau.

             Comment le rassurer ?

Sarah            - Souvent je ne comprends pas ce Seigneur avec lequel tu parles.

            N’aurait-il  pu intervenir plus tôt ?

Abrah.            - Je l’ai pensé également.

            Il me semble qu’il nous laisse explorer tout notre être avant de nous arrêter;
            peut-être resterions nous des enfants s’il nous tenait toujours la main ?

            J’ai aussi découvert que mon attachement à Isaac était excessif.

            Tu as vu ? Il ne me suit plus comme un petit chien.

Sarah            - C’est vrai, mais je le trouve bien violent ton Seigneur.

            J’aimerais qu’il comprenne mieux ce qu’est un cœur de mère.

 

A cet instant, Sarah pousse un gémissement, pose une main sur sa poitrine et dit:

 

Sarah            -  Abraham! Abraham !

Abrah.           - Je suis là.

Sarah            - Tiens moi la main, quelque chose se déchire dans ma poitrine.

                     Le souffle me manque. C’est trop pour mon cœur.

                     Suis-je au bout de mes jours ?

Abrah.          - Sarah ! ma femme…

Sarah           - Appelle Isaac… je veux lui dire…

Abrah.          - Je l’appelle ! 

                     Isaac ! viens vite, ta mère veut te parler.

 

Isaac arrive en courant et se penche vers sa mère:

 

Sarah            - Isaac, mon fils, n’oublie jamais combien ton père est bon quand il écoute le Seigneur.

                     N’oublie jamais de rire…pour honorer le nom qu’il a crié pour toi.

                     Donnez-moi tous deux la main.

 

Sarah ne parle plus.

Tous la veillent avec tendresse, elle est aussi belle que pour ses vingt ans.

Rassasiée de jours, elle s’éteint après quelques nuits.

Abraham achète pour elle la grotte de Makhpela où il l’ensevelit, à Hebron.

 

 

                                                                                                J.O.  2009-2012                                                                                   

 

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